Les leçons d’une célébration interreligieuse

Le 16 novembre 2025, la plateforme interreligieuse du canton de Vaud a organisé à la cathédrale de Lausanne une célébration avec pour mot d’ordre « Paix, dialogue et hospitalité ». Son but ? En s’appuyant sur la figure d’Abraham, construire la paix dans un esprit d’accueil.

L’entreprise avait beaucoup de mérites parce que vivre dans la même société avec des narratifs religieux différents ne va pas de soi. Il était donc naturel de chercher en la personne d’Abraham le dénominateur commun aux Juifs, aux chrétiens et aux musulmans. Et quand on regarde la photo des édiles qui ont participé à cette célébration interreligieuse, main sur le cœur, on a le sentiment qu’Abraham a réussi à tous les réunir autour de lui.

Suprise

Mais est venu le moment où l’imam s’est présenté à l’assemblée pour faire la lecture en arabe, puis en français, de deux passages coraniques. Calmement et avec solennité, il a fait savoir à l’assistance qu’Ibrahim, l’Abraham du Coran, avait à proclamer un message bien différent du discours consensuel qu’elle attendait peut-être de lui.

En écoutant bien, en relisant après coup les versets des sourates qu’il a citées (2.127-134 et 3.64), il a fallu se rendre à l’évidence : Ibrahim adressait à cet auditoire des reproches, et pas des moindres. Il lui a rappelé que lui, Ibrahim, avait accepté de se soumettre à Allah et qu’il avait exhorté ses descendants à faire de même. Il a aussi prié Allah et obtenu de lui qu’il envoie un prophète – Muhammad – pour réciter aux tribus arabes les versets d’Allah, leur enseigner le Livre et les purifier de leur polythéisme.

Un appel à la conversion

Tout cela pouvait passer pour simple rappel historique des débuts de l’islam. Mais les passages cités visaient plus large. Un verset précisait que seuls les sots pouvaient prendre la religion d’Abraham (islam) en aversion et sourate 3.64, lue en conclusion, appelait Juifs et chrétiens à adopter le Coran comme Parole commune et à ne pas prendre de Seigneur en dehors d’Allah. En clair, la conversion à l’islam est le chemin le plus court vers la paix !

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Un discours trompeur

En complet contraste avec les lectures de l’imam, le représentant de l’Union vaudoise des associations musulmanes a adressé à l’auditoire un discours apaisant. Il a souligné que l’esprit de paix et d’hospitalité étaient des valeurs que partageaient toutes les traditions religieuses réunies en cette occasion. Plus important encore, il a souligné qu’Abraham « c’est aussi celui qui accueille, qui ouvre sa tente à l’étranger, qui offre le pain … sans demander à son visiteur ni d’où il vient, ni ce qu’il croit. Il incarne cette hospitalité radicale qui est le commencement de toute paix durable ». En somme, un appel à la bienveillance et à ne pas nous soucier de la portée des versets que l’imam venait de lire.

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Les règles oubliées du dialogue interreligieux

Après la cérémonie, probablement qu’aucun participant n’a songé à remercier l’imam de nous avoir dit aussi clairement comment, « en prenant appui sur la figure d’Abraham » l’islam concevait de « construire la paix dans l’hospitalité ». Maintenant, chacun peut le comprendre : Allah ne donne sa paix qu’à ceux qui, comme Ibrahim, se soumettent à lui.

Cette célébration interreligieuse, point d’orgue des festivités du 750e anniversaire de la cathédrale de Lausanne, pourrait marquer un tournant historique. On peut espérer que, désormais, la plateforme interreligieuse aura une pratique plus lucide des rapports entre communautés religieuses. En effet, quand nous parlons de « paix », avons-nous pris le temps de définir ce que nous entendons ? S’agit-il d’une « paix » qu’impose une religion en réduisant toutes les autres à l’insignifiance ou est-elle le fruit d’une organisation politique qui reconnaît aux pratiquants de chaque religion leur liberté de culte ? Et lorsque nous invoquons Abraham comme figure commune aux Juifs, chrétiens et musulmans, nous sommes-nous assurés qu’il s’agit du même personnage ? L’Ibrahim, qui se rend à La Mecque pour y construire la Kaaba avec son fils Ismaël et que Muhammad présente comme modèle du monothéisme qu’il a lui-même prêché est-il réellement l’Abraham de la Bible ?

Pas de religion hégémonique

Ces questions sont désagréables à poser. Mais comme on finit toujours par le reconnaître, la paix ne peut s’établir que sur la liberté accordée à l’autre de croire autrement. Si l’imam qui est intervenu à la cathédrale – et c’est tout à son honneur – n’a pas altéré le sens du message coranique, pourquoi ceux qui fondent leur foi sur la Bible ou un autre livre altéreraient-ils le leur devant les musulmans ?

Mais alors comment vivre ensemble ? C’est là que commence un difficile apprentissage : témoigner librement de nos convictions tout en respectant la liberté des autres de croire autrement ou de ne pas croire. Une retenue que les membres des religions « universelles » ne savent pas toujours observer et que tente souvent la fusion de la religion dans la politique. Malgré tous les défauts qu’on lui trouve, la laïcité a encore quelques services à nous rendre.

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