Les « commandos suicides » ont-ils des ancêtres? Les « Assassins » étaient une secte chiite-ismaélite. Au Moyen Âge, ils ont semé la terreur pendant 150 ans au Moyen-Orient. On les qualifie parfois de première organisation terroriste de l’histoire.
« J’aspire à combattre et à mourir dans la bataille et encore à combattre et à mourir dans la bataille, afin de combattre et de mourir encore dans la bataille. »
Extrait du serment de loyauté prêté à Oussama Ben Laden
Quel est le ressort de ce serment de loyauté qui remonte à une tradition de Mahomet ? Une forte conviction religieuse mêlée à un désir de mort? Pourtant, le Coran et la tradition condamnent le suicide. Qui sont donc ces musulmans prêts à tout sacrifier pour leur foi et leur conviction ? Que dit l’islam des martyres ?
C’est à partir de l’histoire et de l’idéologie des « Assassins » que nous nous proposons de répondre à ces questions et d’établir le parallèle entre l’idéologie des « Assassins » et celle des commandos suicides d’aujourd’hui.
Qui étaient les « Assassins » ?
Les « Assassins » étaient une secte chiite-ismaélite (ou Nizari). Au Moyen Âge, ils ont semé la terreur pendant 150 ans au Moyen-Orient. On les qualifie parfois de première organisation terroriste de l’histoire.
Un homme
Au printemps de l’année 1090, Hassan is-Sabbah (mort en 1124), prédicateur islamique, erre dans les régions montagneuses de la Perse. Issu d’une famille chiite de la ville de Qom, il a enseigné sa version de l’islam aux mineurs musulmans de la ville. Il a parlé de l’Imam qu’Allah dirigeait et a prétendu révéler à cette population peu instruite le sens secret du Coran. Dans son ardeur missionnaire, il répondait aux questions pour lesquelles le peuple n’avait pas trouvé de réponse dans le dogmatisme orthodoxe de l’islam sunnite. Son enseignement, sa façon de vivre et de traiter les autres lui ont ouvert le cœur des gens. Il dénonçait ouvertement l’injustice et l’oppression et sa doctrine ésotérique attirait les gens comme par enchantement.
Un lieu
Menant la vie d’un prédicateur itinérant dans les rudes montagnes de l’Elburz en Iran, il finit par en faire un domaine protégé pour lui et ses disciples. De la fin du XIe siècle et pour les 150 à 180 années suivantes, les Assassins ont fait de la forteresse d’Alamut, dans l’ouest de l’Iran, leur centre de formation. Parce qu’il vivait dans ce lieu retiré, on a donné à Hassan is-Sabbah le nom de « vieil homme de la montagne ». On le décrit comme un érudit qui aurait possédé une vaste bibliothèque contenant principalement des ouvrages philosophiques. En outre, il avait des connaissances dans diverses sciences naturelles.
Cependant, la forteresse d’Alamut n’était pas qu’un lieu d’érudition. Elle est devenue un centre d’entraînement pour les assaillants suicides (en arabe : fida’ii), ces hommes qui partaient pour des voyages secrets sans retour. Le 16 octobre 1092, un Assassin a commis le premier meurtre ciblé contre le Vizir Nizam al Mulk de Perse.
Une mission
Les « Assassins » tenaient pour ennemis déclarés les souverains mondains tels que les princes, les généraux et les califes. Ceux-ci vivaient dans le luxe alors qu’autour d’eux les gens souffraient de la faim et vivaient dans une abjecte pauvreté. Le népotisme et la corruption étaient courants et incitaient les dirigeants à accumuler davantage de pouvoir et de richesse. Dans cette situation, les Assassins considéraient comme leur responsabilité de destituer ces dirigeants injustes.
Les cibles
Par la suite, ils ont fait tellement d’adeptes que le sultan Salah ad-Din (Saladin) s’est inquiété de compter des membres des « Assassins » parmi ses gardes personnels. Ces craintes semblent avoir été fondées puisque l’Histoire rapporte deux attentats contre sa personne, le premier en 1174 et le second en 1176.
D’obédience chiite, ils s’en sont aussi pris aux théologiens et juristes qui prônaient l’islam sunnite. Ils visaient en particulier ceux qui enseignaient sous la protection et la dépendance de souverains dont ils justifiaient le pouvoir et la richesse. A cette liste d’ « ennemis », il faut ajouter les Croisés. Konrad de Montferrat, le souverain de Jérusalem, mourut le 28 avril 1192 sous les coups de deux Assassins qui s’étaient fait passer pour des moines.
Une réputation
Grâce aux récits des croisés de retour en Europe, la détermination et le courage des « Assassins » devinrent si connus qu’ils furent immortalisés dans des chants lyriques populaires. Plus près de nous, l’OLP a repris le nom donné aux assaillants, Fid’ii (ceux qui se sacrifient), ceux qui donnent leur vie dans la lutte pour une Palestine indépendante.
Parallèlement à la diffusion de sa doctrine et à ses interventions dans la vie politique, Hassani-i Sabbah a réussi à créer une infrastructure autonome dans les montagnes de l’Elbrouz. Les « Assassins » y vivaient dans plus de 70 forteresses dispersées sur un vaste territoire. Ils avaient leur propre monnaie et communiquaient entre eux par un système de signaux lumineux.
Pour écouter l’émission de France culture avec l’historien Gabriel Martinez-Gros sur la secte des « Assassins », cliquer ici.
Voir le documentaire d’Arte sur le même sujet en cliquant ici.
L’aspiration au sacrifice des « Assassins »
Malgré la terreur que les « Assassins » répandaient au Proche et au Moyen-Orient, ils ne se livraient jamais à des tueries aveugles. Ils choisissaient bien leurs cibles et les civiles n’en faisaient pas partie. Ils ne considéraient pas la mort de ces derniers comme inévitable. Le motif de leurs meurtres sélectifs résidait dans leur désir de voir le véritable islam prendre le pouvoir. Ils considéraient avoir pour mission de purifier l’Islam chiite de ses dirigeants sunnites pour que la théocratie chiite idéale puisse s’établir. Dans cette théocratie, il ne devait plus y avoir d’injustice. Elle devait assouvir les besoins spirituels de chacun et répondre aux questions existentielles.
Il était utopique de croire qu’un groupe aussi restreint aurait pu atteindre ces objectifs. Mais, chez ses adeptes, Hassan is-Sabbah a su transformer cette utopie en détermination fanatique et en obsession du martyre. Cela rappelle les paroles qu’Oussama ben Laden adressait à ceux qui partaient pour une opération suicide : « Souriez face à la mort, car vous êtes en route pour le paradis ».
Un code d’honneur
Un véritable « Assassin » n’affrontait pas seulement la mort avec équanimité, mais sa survie après l’attaque l’aurait couvert de honte. La souffrance du martyre devait être transfigurée en triomphe. En effet, rien ne peut arrêter celui qui ne craint pas la mort. On considérait la capacité d’affronter la mort sans peur comme la preuve d’une grande force de conviction et de fidélité à l’idéologie des « Assassins ». Cela provoquait l’admiration, et ceux qui admiraient une telle détermination devenaient, à leur tour, des assaillants suicidaires potentiels.
Une méthode
Les « Assassins » ne se considéraient pas pour autant comme des meurtriers. Ils se voyaient plutôt en justiciers. Le domaine public était leur tribunal et leur stratégie consistait à répandre la terreur. Il est possible qu’Oussama ben Laden ait repris cette idée à Hassan is-Sabbah. Avant que les auteurs des attentats du 11 septembre 2001 ne passent à l’action, il les a exhortés en ces mots : « Dans la bataille, combattez comme un héros à qui cette vie n’a plus rien à offrir. Criez haut et fort : ‘Allahu-akbar’, car le ‘Takbir’ [louange d’Allah] remplit le cœur de l’incroyant de peur et de terreur. »
Voir aussi l’article Allâhu Akbar, simple expression de piété ou cri de guerre?
Que signifie le terme » assassin » ?
Dans de nombreuses langues européennes, le terme « assassin » désigne une personne coupable d’un meurtre. En leur temps, les « Assassins » étaient aussi appelés « Hashashites », ou « mangeurs de haschisch ». Cette notion est arrivée en Occident par l’intermédiaire du Livre des Merveilles, le récit des voyages de Marco Polo (1254-1324). Il y parle en effet de jeunes gens sous l’emprise de l’opium qui, sur les instructions de Hassan is-Sabbah, émergeaient de leur état délirant, vêtus de vêtements de luxe et couchés dans des jardins artificiellement préparés. Cet avant-goût du Paradis et de ses vierges devait intensifier en eux la volonté de réaliser un attentat suicide.
Aucune source historique sérieuse ne permet de confirmer le rapport de Marco Polo. Le fait que la drogue ait pu jouer un rôle dans l’endoctrinement des « Assassins » et la réalisation de leurs opérations suicides n’est pas historiquement avérée. Elle apparaît cependant possible. La référence permanente à l’usage du haschisch chez les « Assassins » n’est, peut-être, qu’une tentative d’expliquer l’incompréhensible. Elle permet de suggérer que seules des drogues ou, peut-être, des promesses utopiques, étaient à même de conduire ces hommes à des actes aussi monstrueux.
Déclin et défaite des « Assassins »
Au treizième siècle, les Mongols conquièrent le Moyen et Proche-Orient. Le Grand Khan des Mongols, Hülegü, combat les « Assassins ». Ceux-ci lui opposent d’abord une résistance acharnée. Cependant, en 1256, bien décidé à en finir, il parvient à prendre la forteresse d’Alamut. Il tue alors tous les « Assassins » tombés entre ses mains. Selon les rapports, plus de 12 000 hommes sont tués. Mais, très tôt, des rumeurs courent selon lesquelles les « Assassins » continuent d’exister, en petits groupes, notamment en Syrie. Il ne fait cependant aucun doute que les Mongols les ont décimés et ont anéanti leur pouvoir d’attraction. La raison de leur disparition est certainement imputable au fait qu’ils n’ont jamais poursuivi d’objectifs réalistes. Ils ont, certes, plus d’une fois réussi à affaiblir la domination sunnite. Mais jamais ils ne l’ont vaincue. C’est ainsi qu’ils se sont éteints et que leur trace dans l’histoire a disparu.
Des « Assassins » à l’époque moderne ?
Après les attentats du 11 septembre 2001, Bassam Tibi, politologue d’origine syrienne, a résumé la situation en ces termes : « Nous avons maintenant, de toute évidence, affaire à des « Assassins » des temps modernes. »
Existe-t-il des similitudes entre le chiite Hassan is-Sabbah et le sunnite Oussama Ben Laden ? Qu’ont-ils en commun ?
Hassan is-Sabbah, tout comme Oussama ben Laden, a vécu retiré dans une région montagneuse accidentée, difficile d’accès. Mais, surtout, tous deux avaient pour objectif d’ériger une théocratie idéale. Et tous deux ont exigé de leurs adeptes une obéissance aveugle et une volonté totale d’obéissance et de sacrifice. Une telle résolution avait pour but de combattre les États musulmans hostiles à leur projet d’instaurer une théocratie islamique idéale.
Islam = Terreur ?
Il convient de souligner ici qu’il ne faut pas regarder tout musulman comme un islamiste, comme un terroriste ou un assassin en puissance. L’islamisme n’est qu’une facette de l’islam. Ne réduisons pas l’islam à la terreur et aux attentats suicidaires. Le phénomène du terrorisme ne se produit pas seulement dans l’Islam.
Dans la culture mondialisée actuelle, l’Occident doit trouver les moyens et les solutions pratiques assurant la possibilité de vivre avec les musulmans et les groupes ethniques musulmans. Cela requiert, de part et d’autre, une volonté empreinte de sensibilité. Si les uns doivent s’ouvrir à la présence de personnes issues sphères culturelles peu familières, les autres doivent accepter que la culture hôte fixe certaines limites pour sa protection. Seule la concertation permettra d’aborder les problèmes de l’avenir de manière réaliste. Pour cela, musulmans et non-musulmans doivent soutenir un dialogue exigeant et honnête.