Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Israël et Palestine. Entre choc des violences et quêtes de paix (1)

|

29 novembre 2023

|

Depuis le 7 octobre 2023, une nouvelle guerre oppose Israël et la Palestine. Elle commence à se diffuser dans le reste du monde. Les violences qui se déchaînent sont brutales, inextricables et très complexes.

Cet article reproduit, à quelques modifications près, le texte que l’auteur a publié sur son blog www.skblog.ch

On ne peut qu’espérer de tout cœur que ces violences cessent le plus rapidement possible et qu’une aide humanitaire arrive aux victimes civiles de cette guerre. Voici quelques questions fondamentales auxquelles il est nécessaire de répondre :

1. Quelles sont ces violences ? 2. Peut-on hiérarchiser ces violences ? 3. Quels sont les grands récits par lesquels nous interprétons ces violences ? 4. Quelles pistes envisager pour atténuer ces violences et pour sortir de leurs logiques mortifères ?

Voici un essai tâtonnant, à sans cesse nuancer avec d’autres, pour répondre à ces questions.

1. Quelles sont ces violences?

La situation plurimillénaire en Israël/Palestine est d’une extraordinaire complexité. Ces tableaux historiques, pas du tout exhaustifs, nous la mettent en perspective. En parcourant au fil des pages la colonne « Israël » dans le contexte mondial, une épaisseur historique est restituée.

Voir: Histoire mondiale en tableaux

Au fil des siècles, de nombreuses violences ont répondu à d’autres violences qui les ont précédées et provoquées. Et chaque peuple sélectionne dans sa mémoire collective ce qui construit son identité et lui permet de résister au cœur des nouveaux conflits.

Des peuples cananéens, hébreux, philistins, assyriens, babyloniens, perses, grecs, romains, byzantins, arabo-musulmans, latins, mamelouks, ottomans, britanniques… ont dominé cette partie de la Terre. Et pendant trois mille ans, le peuple juif a attaché sa destinée à cet espace géographique convoité par tant d’empires et de nations.

De manière très sélective et en lien avec l’actualité récente, voici quelques-unes de ces violences.

Violences occidentales et moyen-orientales

Le Hamas a appelé son offensive meurtrière du 7 octobre 2023 « Déluge d’Al-Aqsa ». Il a affirmé vouloir répondre aux « attaques incessantes des forces israéliennes et des colons contre le peuple palestinien, ses biens et ses lieux saints, en particulier la mosquée d’al-Aqsa dans la partie occupée de Jérusalem Est ».

La référence est explicite à la mosquée al-Aqsa. Or celle-ci a été érigée dès 637 sur le Mont du Temple, site du second Temple de Jérusalem, détruit en l’an 70 par une armée occidentale, l’armée romaine. En 135, sous le règne de l’empereur Hadrien, la ville de Jérusalem fut rasée après une terrible guerre qui causa la mort de plusieurs centaines de milliers de juifs.

Reproduction du Second Temple et de Jérusalem (-586 à 70 ap. J.-C.)

Mosquée d’Al-Aqsa (dès 637 ap. J.-C.) et Dôme du Rocher (dès 691 ap. J.-C.)

Sous la domination byzantine, l’espace du Temple fut laissé à l’abandon pour marquer la victoire des chrétiens sur les juifs. Les conquérants musulmans occupèrent la ville de Jérusalem de 637 jusqu’en 1917 (à part une brève domination latine de 1099 à 1187) jusqu’à ce que la ville passe sous domination britannique (1917-1948).

Ainsi, ce lieu le plus symbolique pour le peuple juif fut détruit par les Romains, abandonné par les chrétiens puis occupé par les musulmans pendant près de quatorze siècles. Et pendant deux mille ans, tout le peuple juif a continué de prier, le cœur dirigé vers Jérusalem et vers leur temple détruit.

Peut-on le leur reprocher ?

Imaginons un instant une chose inenvisageable et inacceptable : la destruction de la mosquée al-Harâm et de la Kaaba à La Mecque en Arabie Saoudite, les lieux les plus saints des musulmans, et… l’érection sur ces lieux d’un temple non musulman. 

Mosquée al-Harâm (dès 638 ap. J.-C.) et la Kaaba

Il est certain que les musulmans du monde entier et de tous les temps auraient comme unique envie, même des siècles après le drame, de restaurer ce lieu en mosquée. 

N’est-il donc pas compréhensible que des Juifs aspirent aujourd’hui encore à reconstruire le troisième temple sur ce lieu le plus saint pour eux ? Cela ne se fait pas (encore ?) car la violence que cet acte provoquerait dans le monde musulman serait planétaire et dévastatrice. 

En contraste, l’absence de réaction face à la dernière transformation de la basilique Sainte Sophie en Turquie – église devenue mosquée, puis musée et de nouveau mosquée – est révélatrice de l’apathie spirituelle du monde chrétien et occidental.

Depuis la destruction du temple (70 ap J.-C.) et de la ville de Jérusalem (135 ap J.-C.), le peuple juif n’a pas cessé de subir des violences inouïes en Occident et dans le Moyen-Orient, de la part des peuples occidentaux et moyen-orientaux, chrétiens et musulmans.

Cette puissance destructrice a culminé dans la Shoah (« catastrophe » en hébreu) qui a causé la mort de 6 millions de juifs, dont 1,5 million d’enfants.

La violence terroriste du 7 octobre 2023 a réveillé chez tous les juifs ce souvenir indéracinable de tant de souffrances abyssales.

Violences juives, arabes, palestiniennes et musulmanes

La création de l’État d’Israël en 1948, reconnu par l’ONU en 1949, fut l’objet d’un immense espoir pour les juifs du monde entier (sauf pour les juifs ultraorthodoxes qui ont considéré cet acte politique, trop humain, comme impie). Mais pour les habitants de Palestine, cet acte était une catastrophe (Nakba) d’une violence inouïe. De très nombreux villages palestiniens furent occupés par l’armée israélienne et rasés. Comme nous le verrons, des groupes juifs n’ont pas hésité à recourir à la terreur pour faire avancer leur cause.

Les guerres qui ont suivi la création de l’État d’Israël, et cela jusqu’à aujourd’hui, continuent de meurtrir les deux peuples juif et palestinien.

La violence de l’État d’Israël est d’abord celle d’une armée qui a dû se défendre face aux armées arabes ne reconnaissant pas l’existence de ce nouvel État. Puis il y a eu la violence diffuse et persistante des colons israéliens grignotant les terres de Cisjordanie occupée.

Les violences en face furent d’abord celles des armées de pays arabes, puis celles des nationalistes palestiniens (OLP et Fatah) et maintenant surtout celles de mouvements islamiques (Hamas, Hezbollah…) qui veulent explicitement la destruction d’Israël.

En 1979, juste après la révolution iranienne, Yasser Arafat envoya un message à l’ayatollah Khomeini. On y lit:

« Je prie Allah de guider vos pas sur le chemin de la foi et du Djihad en Iran qui poursuivra la lutte jusqu’à ce que nous arrivions aux murs de Jérusalem où nous hisserons les drapeaux de nos deux révolutions. »​1​

Sur ce point, la charte du Hamas (1988) est explicite, de même que sa volonté de détruire l’État d’Israël. Ce mouvement, lié aux Frères musulmans (article 2), affirme :

« Le Mouvement de la Résistance Islamique considère que la terre de Palestine est une terre islamique waqf [de mainmorte] pour toutes les générations de musulmans jusqu’au jour de la résurrection. » (article 11).

L’idée fondamentale, conformément au droit islamique, est qu’une terre qui a été une fois islamique l’est pour toujours. Elle doit être reconquise. Et tous les moyens sont bons : la conviction, la force, la ruse et la terreur.

Le Hamas est-il une organisation terroriste?

En Occident, les discussions sont grandes pour savoir s’il faut reconnaître le Hamas comme un partenaire légitime ou une association terroriste. Les violences inouïes du 7 octobre 2023 ont révélé à la fois la pratique d’une brutalité terroriste inhumaine et la capacité à utiliser la ruse et la dissimulation pour endormir ses adversaires. Il est à peine compréhensible que les services secrets israéliens eux-mêmes aient été aveuglés au point de sous-estimer ces stratégies qui se réfèrent pourtant explicitement à l’enseignement islamique.

Comme bien d’autres ouvrages, mon livre consacré à la dimension conquérante de l’islam les explicite, textes à l’appui. Il peut être téléchargé gratuitement ici.

Le Hamas est à la fois une organisation humanitaire, religieuse, politique, militaire et terroriste. En situation de relative faiblesse, l’islam enseigne que les musulmans ont le droit d’utiliser la terreur, comme Mohammed l’a fait (les citations seront données par la suite). Et le Hamas a clairement choisi de pratiquer la terreur pour arriver à ses fins. 

Voici un extrait de vidéo d’Ismaël Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas. Son discours a été diffusé sur la chaîne Al Jazeera le jour même du 7 octobre.

Un conflit qui n’est pas que politique

Clairement, le conflit n’est pas seulement politique et post-colonial, un lieu où se confrontent divers impérialismes ou néoimpérialismes (américain, russe, turc, iranien…), mais il est aussi religieux et spirituel. Et nombre de journalistes et de politiciens laïcs ne veulent pas le voir. Si le problème est aussi religieux et spirituel, la réponse devra l’être aussi. Sans négliger, bien sûr, les autres composantes.

Daniel Sibony est un fin analyste. Il est l’auteur notamment d’un excellent ouvrage intitulé Les trois monothéismes, Juifs, chrétiens, musulmans, entre leurs sources et leurs destins. Il n’a pas hésité à rappeler une des dimensions religieuses du conflit.

Daniel Sibony et la nature du conflit Hamas Israël

Dans cette nouvelle guerre asymétrique -le Hamas sait très bien qu’il ne pourra pas vaincre pour le moment- la grande question posée à l’État israélien est celle des moyens à mettre en œuvre pour détruire cette organisation terroriste. La violence de sa légitime riposte armée fait de très-trop nombreuses victimes au sein de la population civile de Gaza. Elle suscite une vague d’indignation à travers le monde et favorise une explosion du nombre d’actes antisémites à l’égard des juifs partout où ils se trouvent. 

Explosion du nombre des actes antisémites

Aussi bien en Suisse que dans toute l’Europe les actes antisémites sont en forte croissance. Pour la première fois depuis longtemps, de nombreux juifs ne sentent plus en sécurité sur le Vieux Continent. Au point qu’un appel a été adressé aux juifs de Grande-Bretagne à quitter le pays.

Il est du devoir du monde politique et du monde ecclésial d’adresser aux communautés juives leurs soutiens sans faille, et cela quel que soit l’avis des uns et des autres sur la politique de l’État d’Israël.

Une étude en Suisse montre comment l’antisémitisme est réparti un peu plus dans les milieux de droite que de gauche, un peu plus chez les musulmans que chez les chrétiens. Personne n’est donc à l’abri.

Il est important de continuer de prier pour la paix, de mettre en lumière les racines de nos violences et de trouver des chemins pour en sortir…

À suivre…

2. Peut-on hiérarchiser ces violences ? 3. Quels sont les grands récits par lesquels nous interprétons ces violences ? 4. Quelles pistes envisager pour atténuer ces violences et pour sortir de leurs logiques mortifères ?

Note:


  1. ​1​
    « Le Djihad », Information Moyen-Orient, no XV, mars 1981, p. 6. Les références islamiques ont clairement alimenté, hier, les actions politiques d’Arafat et de Khomeini et aujourd’hui, celles du Hamas.

VOUS AVEZ AIMÉ CET ARTICLE ?
S’abonner à notre newsletter.

En soumettant ce formulaire, j’accepte la politique de confidentialité

Articles en relation

Existe-t-il un lien entre islam et terrorisme. Cette photo d'un combattant du Jihad islamique permet de répondre positivement.
Existe-t-il un lien entre islam et terrorisme? Au cours des vingt dernières années, il y a toujours eu des imams médiatiques pour condamner les attentats que des "djihadistes" venaient de perpétrer en Europe. Mais ce à quoi nous avons assisté le 7 octobre 2023 était complètement différent.
Un "islam suisse" est-il possible? Nora Illi, membre du Conseil central islamique suisse, milite pour que l'islam puisse librement se déployer en Suisse.
Un "islam suisse" est-il possible? Poser cette question suppose quelques difficultés. Ces difficultés sont-elles de nature superficielle ou fondamentale ? C’est ce que la suite de ce texte veut établir.
5296935252_c5233df51f_k
Dans le monde musulman et dans nos pays, les conditions de validité d’un contrat de mariage musulman sont strictes. Elles stipulent qu’un  « mécréant » (non musulman) ne peut épouser une musulmane.