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Comment prévenir la radicalisation des jeunes musulmans? (3)

Comment prévenir ce processus le radicalisation des jeunes musulmans ? En leur opposant les arguments que le Coran fournit pour délégitimer la méthode des jihadistes, répond l’auteur.

Quelle réponse opposer aux promoteurs du jihad ?

Pour contrer le développement de l’islam radical, en particulier jihadiste, en France comme ailleurs, il faut apporter des réponses aussi bien sur le plan politique que théologique. Laissons la politique aux politiciens, et considérons deux éléments d’une réponse théologique :

L’exemple de Muhammad n’est pas normatif (cf.Q 80)

Le premier élément est le fait que la vie de Muhammad n’est pas normative, en tout dans le Coran. La sourate 80 (Il s’est renfrogné [Abassa]) relate l’histoire d’un aveugle qui vient voir Muhammad, mais celui-ci préfère se consacrer à un homme riche.

Q 80 : « Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. 1Il s’est renfrogné et il s’est détourné 2parce que l’aveugle est venu à lui. 3Qui te dit : peut-être [cherche]-t-il à se purifier ? 4ou à se rappeler en sorte que le rappel lui profite ? 5Quant à celui qui se complaît dans sa suffisance (pour sa richesse) 6tu vas avec empressement à sa rencontre. 7Ür, que t’importe qu’il ne se purifie pas. 8Et quant à celui qui vient à toi avec empressement 9tout en ayant la crainte, 10tu ne t’en soucies pas. 11N’agis plus ainsi!»

Dans ces versets, l’attitude de Muhammad est condamnée par la révélation coranique. Le verset 11 lui dit clairement : « N’agis plus ainsi ».

Il serait donc difficile de considérer l’attitude de Muhammad en toutes circonstances comme normative​1​à moins que ce soit dit explicitement dans le Coran ou les Hadiths. Or, il n’est pas dit – à notre connaissance – que les trois phases de Muhammad doivent être prises comme exemple pour le jihad. C’est la raison pour laquelle la grande majorité de musulmans, qui n’épousent pas les thèses jihadistes tout en restant fidèles aux textes fondateurs de l’islam, ne considèrent pas ces trois étapes de la vie de Muhammad comme des étapes de jihad.

Le second élément sur le plan théologique est le fait que :

Le principe de Naskh ne s’applique pas au jihad

Certes, le Coran justifie ce principe qui consiste à dire : « lorsqu’il y a deux versets contradictoires, le dernier verset révélé annule et rem place le premier ». Ce principe de l’abrogeant (nâsikh) et de l’abrogé (mansûkh) est évoqué dans plusieurs textes coraniques : Q 2.106; 16.101​2​; 22.52; etc. D’après Jacques Berque, 70 sourates des 114 dans le Coran sont concernées par ce principe de« naskh »​3​.

Ce principe est appliqué pour plusieurs questions d’ordre théo­logique et éthique. C’est le cas, par exemple pour la consommation du vin qui ne cesse d’évoluer. Dans un premier temps, le Coran demande aux musulmans de ne pas prier alors qu’ils sont ivres : « Ô croyants ! ne priez point lorsque vous êtes ivres : attendez de pouvoir comprendre les paroles que vous prononcez.» (Q4.46). Mais comme les compagnons de Muhammad n’arrivaient pas à se maîtriser, une autre révélation est venue interdire formellement de boire du vin : « Ô croyants ! le vin, les jeux de hasard, les statues et le sort des flèches sont une abomination inventée par Satan; abstenez-vous-en, et vous serez heureux.» (Q5.92). Pour les musulmans, c’est ce dernier texte (Q5.92) qui fait autorité en matière de consommation de vin. Parce qu’ils considèrent que c’est le dernier passage révélé sur ce sujet et de ce fait il annule et remplace tous les précédents.

Les jihadistes utilisent ce même principe de Naskh pour les rela­tions avec les non-musulmans. Pour eux, les versets sur l’amour, la tolérance et la paix sont abrogés par les versets qui appellent au jihad et à la guerre sainte.

On peut formuler trois objections à cette manière de comprendre :

  1. D’abord, sur le plan exégétique : dans le Coran il n’est jamais ques­tion que les textes appelant au jihad remplacent les textes appelant à une vie harmonieuse avec les non-musulmans. Le principe de naskh s’applique lorsque le Coran lui-même indique qu’une nou­velle révélation sur un sujet remplace les précédentes.
  2. Ensuite, on peut formuler une objection portant sur la chronologie des textes coraniques. Les 114 sourates dans le Coran ne sont pas classées selon l’ordre chronologique. Par conséquent, il est très dif­ficile, voire impossible de dater certains textes coraniques, notam­ment ceux sur lesquels se basent les jihadistes pour appuyer leur thèse sur le jihad, à savoir les sourates 9 et 5.
  3. Enfin, une objection dogmatique : le Coran est un texte atemporel, et donc valable pour tous et en tout temps. Dans ce cas-là, com­

ment justifier la thèse de naskh lorsque cela n’est pas indiqué expli­citement dans le Coran comme c’est le cas pour le vin.

Les éléments de réponse avancés ici mériteraient d’être développés. En même temps, ils montrent bien que l’argumentaire théologique des jihadistes – qui séduit les jeunes des grandes villes européennes – peut être remis en question et débattu.

Lire aussi: Méthode expérimentale de déradicalisation: quelles stratégies émotionnelles et cognitives? et Le parcours extrémistes de musulmans modérés

Conclusion

Si les thèses des salafistes en général, et jihadites en particulier, trouvent un écho favorable au sein d’une partie de notre jeunesse euro­péenne, c’est parce que, entre autres, notre jeunesse n’est pas préparée à résister à de telles sirènes extrémistes !

Elle n’est pas préparée sur le plan religieux : elle ne reçoit pas d’éducation ne serait-ce « du fait religieux » pour leur permettre de résister à certaines formes de l’extrémisme religieux. Pire encore, ces jeunes qui se sentent abandonnés, rejetés, sont préparés pour être des victimes de toute forme d’extrémisme qui donnerait sens à leur vie!

Les deux facteurs principaux – à notre humble avis – qui ont favo­risé la naissance et le développement de l’islam radical dans nos ban­ lieues françaises sont :

  1. sur le plan sociologique, le fait que cette population ne trouve pas sa place dans la société française;
  2. sur le plan théologique, le fait que l’enseignement salafiste, jihadiste, n’est pas contré d’une manière sérieuse par d’autres écoles théolo­giques musulmanes.

Pour conclure sur ce sujet, il ne faut cesser de le rappeler : tous les musulmans en France, et en Occident, ne sont pas des jihadistes. La grande majorité d’entre eux ont une lecture classique et orthodoxe de l’islam qui ne conduit pas au jihadisme. Ce serait une erreur de consi­dérer que les jihadistes sont cohérents avec les textes coraniques et que les « traditionalistes » ne sont pas orthodoxes. Il faut faire attention à ne pas encourager involontairement le jihadisme avec un discours qui leur donnerait raison.

Le chrétien que je suis veut encourager à aller encore plus loin avec les musulmans : les aider à rencontrer celui qui peut leur donner l’as­surance du salut sans se faire exploser: Jésus-Christ, le seul médiateur entre Dieu et les hommes (1 Tm 2.5) !

Accéder aux autres articles de cette série :

  1. Ces Français musulmans qui n’aiment pas la France mais que leurs parents ont servie
  2. Ces Français musulmans qui cherchent leur salut dans le jihad
  3. Comment prévenir la radicalisation des jeunes musulmans?

Notes


  1. ​1​
    Sur ce point, l’exemple de Jésus diffère de celui de Muhammad et de Moise. Car, le texte évangélique ne condamne à aucun moment l’attitude de Jésus, contrairement à celui de la Torah qui condamne une fois ou l’autre l’attitude de Moise, et le Coran qui condamne Muhammad, notamment dans ce passage.
  2. ​2​
    Q16.44: Ce verset servirait à certains savants pour affirmer que certains hadiths peuvent abroger des versets du Coran.
  3. ​3​
    Selon Jacques Berque, 71 sourates sur 114 sont concernées par le principe de naskh : « 25 sourates contiennent à la fois de l’abrogeant et de l’abrogé, 6 seu¬lement de l’abrogeant et 40 seulement de l’abrogé» Jacques BERQUE, Relire le Coran, Paris, Albin Michel, 1993, p. 69-70). Pour savoir quels versets abrogent les autres, il faut connaître la chronologie des textes coraniques – chose impossible à démontrer scientifiquement malgré les différentes propositions des savants.

Quelques recommandations bibliographiques

Sur l’histoire et la sociologie des musulmans en France

(1) Le grand ouvrage de 1218 pages rédigé sous la direction de Mohammed ARKOUN, Histoire de l’islam et des musulmans en France, du Moyen Âge à nos jours, sous. dir. Mohammed ARKOUN, Paris, Albin Michel, 2006;

(2) Un bon article de Catherine WIHTOL DE WENDEN, « Seconde Génération : le Cas Français », Musulmans de France et d’Europe, sous dir. Rémy LEVEAU et Khadija MOHSEN-FINAN en partenariat avec l’Ifri, Éditions CNRS, 2005.

Sur la question de la violence dans l’islam :

(1) L’article de Giles KEPEL «Jihad», Pouvoirs, 2003/1, n° 104, p. 135-142 (Disponible sur le net);

(2) L’ouvrage collectif sous la direction de Micaël RAZZANO, La violence, une fatalité?, coll. Terre Nouvelle, Charols/Paris, Excel­ sis/GBU, 2017.

Bibliographie sélective

AMIR-MOEZZI, Mohammad Ali, Le Dictionnaire du Coran, sous. dir. Mohammad Ali Amir-Moezzi, Paris, Robert Lafont, 2007.

AREZKI, Karim, « La violence dans l’islam radical», dans La violence, une fatalité?, sous dir. Micaël Razzano, Excelsis, Charols, 2017, p. 39-66.

AREZKI, Karim, « Les musulmans en France », dans Les Cahiers de l’École Pastorale, vol. 73, 2009, p. 26-48.

AREZKI, Karim, « Raisons théologiques et historiques du fondamen­talisme islamique », Théologie Évangélique vol. 9, n° 3, 2010.

ARKOUN, Mohammed (sous dir), Histoire de l’islam et des musulmans en France, du Moyen Âge à nos jours, sous. dir. Mohammed Arkoun, Paris, Albin Michel, 2006, 1218 p.

BALTA, Paul, L’islam dans le monde, Paris, Découverte & Monde, 1986.

BENCHEIKH, Soheib, Marianne et le Prophète, Paris, Grasset et Fasquelle, 1998.

BERQUE, Jacques, Relire le Coran, Paris, Albin Michel, 1993.

BOUBAKEUR, Cheikh si Hamza, Traité moderne de théologie islamique,

Paris, Maisonneuve et Larose, 1985.

BOUZAR, Dounia, L’islam des banlieues, Les prédicateurs musulmans : nouveaux travailleurs sociaux, Éditions Syros, 2001.

BOYER, Alain, [L’Islam en France, Paris, Presse Universitaire de France, 1998. Il est un spécialiste de l’histoire religieuse contemporaine.

DANIEL, Robin, L’héritage chrétien en Afrique du Nord Une étude his­torique à partir du premier siècle jusqu’au Moyen Âge, trad. de l’anglais par Julian Brown et Mireille Boissonnat, Torremolinos, Éditions Tamaris/ Tamarisk Publications, 2008, 462 p.

DEL VALLE, Alexandre, Le totalitarisme islamiste, Éd. des Syrtes, 2002.

DÉROCHE, François, « Mahomet », Le Dictionnaire du Coran, sous. dir. Mohammad Ali Amir-Moezzi, Paris, Robert Lafont, 2007, p. 512-516.

FLEURY, Cynthia, « Le jihad : de l’exil occidental à l’Orient », Cités,

2003/2, n° 14, p. 61-65. Disponible sur le net.

GABRIEL, Mark A., Islam et terrorisme, Édition actualisée, Lausanne, Ourania, 2006.

GARDET, Louis, L’islam, Religion et communauté, Paris, Desclée de Brouwer, 1970.

GIMARET, Daniel, Les noms divins en Islam, coll. « Patrimoines », Paris, Cerf, 1988.

GRANDGUILLAUME, Gilbert, « les singularités de l’islam français»,

Esprit, n° 239, Janvier 1998, p. 52-64.

KEPEL, Gilles, «Jihad», Pouvoirs, 2003/1, n° 104, p. 135-142. Dispo­nible sur le net.

KEPEL, Gilles, Les banlieues de l’Islam, Naissance d’une religion en France, Paris, Seuil, 1987.

La revue Esprit,« L’islam d’Europe», n° 239, janvier 1998. MAHRANE, Saïd, C’était en 58 ou 59… , Paris, Calmann-lévy, 2011.

MOUCCARRY, Chawkat, La foi à l’épreuve. L’islam et le christianisme vus par un Arabe chrétien, coll. La foi en dialogue, Charols, Excelsis, 2eéd. rév. et augm., 2014.

PEYRONNET, Georges, L’islam et la civilisation islamique, VIIe

XIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1992.

RAZZANO, Micaël, sous dir, La violence, une fatalité ?, coll. Terre Nou­ velle, Charols, Excelsis, 2017

VALANTIN, Jacqueline & Euzen-Dague, Marie-Geneviève, sous. dir., Le dialogue Interculturel, Une Action Vitale, Paris, l’Harmattan, 2008.

WIHTOL DE WENDEN, Catherine, « Seconde Génération : le Cas Français », Musulmans de France et d’Europe, sous dir. Rémy LEVEAU et Khadija MOHSEN-FINAN en partenariat avec l’Ifri, Édi­tions CNRS, 2005.

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