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Le christianisme est-il conquérant?

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28 mars 2019

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Deux livres parus récemment font mention de l’islam conquérant dans leur titre. [1] Mais le christianisme lui-même n’a-t-il pas été conquérant et ne l’est-il pas resté jusqu’à nos jours ? Etienne Bovey, auteur de cet article, fait le point sur la question.

Pour rappel, l’islam sépare le monde en deux zones: la terre d’islam et la terre de la guerre. En terre d’islam, la religion d’Etat est l’islam, et le gouvernement veille à l’application des préceptes de la charia. Dans la terre de la guerre, l’islam ne gouverne pas[2] . Ainsi les musulmans doivent faire tous leurs efforts pour que cette « terre de la guerre » devienne une « terre d’islam ». Cet effort s’exprime dans le djihad. Multiforme, il concerne tous les aspects de la vie. Il peut même recourir à la force si nécessaire.

Les débuts de l’Eglise

Avant de se séparer physiquement de ses disciples et de monter au ciel, Jésus leur donne une mission: Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit et enseignez-leur à mettre en pratique tout ce que je vous ai prescrit.[3]

La mission est claire: il s’agit d’encourager les hommes et les femmes de toutes les nations à devenir eux-mêmes des disciples de Jésus, c’est-à-dire des personnes qui entrent en relation directe avec lui, l’écoutent, méditent son enseignement, se laissent transformer, apprennent à l’imiter et font sa volonté. Le baptême fait partie de ce cheminement. Etre disciple de Jésus, c’est vivre comme il a vécu: une vie faite de vérité, de justice, d’amour et de service du prochain.

Mission exclusive

Il ne s’agit nullement de prendre le pouvoir dans la société en établissant un gouvernement chrétien. L’Eglise ne doit pas se substituer au gouvernement de l’Etat ou s’associer avec lui. La principale mission de l’Eglise est de convaincre les gens d’entrer dans le royaume de Dieu, un royaume dirigé par le Christ et qui n’a rien à voir avec les royaumes de ce monde.[4]

Séparation des pouvoirs

Cette ligne de conduite s’inscrit en quelque sorte dans la ligne des Lévites et des Prêtres de l’Ancien Testament. Ceux-ci ne possédaient pas de territoires, hormis quelques villes réparties dans le pays. Ils ne faisaient pas de politique et se cantonnaient à leur tâche religieuse. Leur fonction se transmettait uniquement au sein de la famille. Ils n’étaient pas nommés par le roi ou un quelconque pouvoir, ni payés par ces autorités. De même, le pouvoir politique ne devait pas s’immiscer dans leur travail.

C’est cet esprit qui caractérise l’Eglise à sa naissance. Elle ne cherche nullement, en tant qu’Eglise, à prendre le pouvoir en Palestine pour en expulser les Romains qui la contrôlent. Elle se consacre à l’annonce de l’Evangile, à l’enseignement et à la prière. Assez rapidement, les disciples répandent l’Evangile en Palestine et parmi les non-Juifs. La réponse est telle que les non-Juifs sont majoritaire dans bien des Eglises. Les nombreuses persécutions n’arrêtent pas son développement.

L’Eglise se pervertit en s’alliant au pouvoir

Au 4e siècle après J-C, quelque chose modifie complètement cette dynamique. J. Ellul en parle de manière très détaillée dans son livre La subversion du christianisme. [5] Sous l’impulsion de Constantin, l’Eglise et l’Etat conclut un mariage de raison. Constantin profite de l’Eglise pour asseoir son autorité et unifier son empire. L’Eglise, elle, profite de l’Etat pour acquérir du pouvoir, et se met ainsi à l’abri de la persécution. Cette situation amène ses dirigeants à imaginer qu’ils peuvent établir le royaume de Dieu par la voie politique et militaire. Ils veulent répandre l’Evangile en s’appuyant sur la puissance de l’Etat, mais cette puissance n’est pas celle de Dieu!

La foi chrétienne devient un –isme: le christianisme. Un système humain bâti sur un pouvoir humain. Le christianisme devient religion d’Etat. L’Eglise, investie d’un pouvoir politique confère à l’empereur un pouvoir religieux. Elle gagne en pouvoir temporel mais perd en autorité spirituelle et se laisse corrompre par le pouvoir. Cela durera des siècles. Oui! Le christianisme est devenu conquérant, mais il s’est éloigné de la prédication de Jésus et de ses disciples. Etat et l’Eglise étroitement associés, on considère les guerres de l’empereur comme celles « de la chrétienté ». Même si c’est un empereur que l’on dit chrétien qui les mène, elles contredisent l’esprit de l’Evangile.[6]

L’Eglise imite l’islam

Pour Ellul, l’arrivée de l’islam, et de sa notion de « guerre sainte », influence fortement les empereurs, rois et princes occidentaux.[7] Charlemagne essaie de convertir par la violence les Saxons. Il ne fait qu’imiter ce que l’islam faisait depuis deux siècles. Les Croisades apparaissent comme une forme de djihad chrétien : ceux qui meurent ont l’assurance d’aller tout droit au paradis, comme dans l’islam. La guerre est devenue « sainte » parce que c’est un « roi chrétien légitime » qui la conduit. On voit là une confirmation terrible du vice qui déjà rongeait le christianisme: la tentation de puissance, de violence et de domination. Ce fut une perversion majeure de la foi chrétienne.

Et aujourd’hui?

Aujourd’hui, on ne parle plus de guerre sainte. Il y a néanmoins plusieurs façons de comprendre la relation entre Eglise et pouvoir politique. Certains pays ont adopté le christianisme comme religion d’Etat, ce qui peut poser problème. Dans d’autres, par contre, Eglise et l’Etat fonctionnent dans leur sphères respectives sans s’immiscer dans les affaires de l’autre.

Les chrétiens n’ont pas tous la même idée de la relation souhaitée entre l’Eglise et le pouvoir. Certains considèrent qu’il faut prendre le contrôle de l’Etat pour permettre au christianisme d’exercer son influence sur la société. On devine, derrière cette idée, la conviction qu’il faut conquérir la terre pour que ses habitants se soumettent au Seigneur. Une telle pensée ne diffère guerre de celle des islamistes. Mais la question se pose alors de savoir à quoi bon conquérir le monde puisqu’il appartient déjà au Seigneur?

D’autres, au contraire, refusent de prendre part, en tant qu’Eglise, au pouvoir politique en place. Ils estimant que l’exercice du pouvoir appartient à des individus citoyens, chrétiens ou non, et pas à l’Eglise.

En résumé

Schématiquement, on serait tenté de placer l’Eglise catholique dans le premier groupe et les communautés issues de la Réforme dans le second. Et pourtant, le rapport au pouvoir est bien plus subtil que cela, et la tentation de la puissance concerne tous les chrétiens. A défaut de vouloir conquérir le monde, on peut vouloir conquérir les coeurs, pour accroître l’Eglise. Là encore, ce christianisme conquérant fait fausse route: la vraie mission que Jésus confie à ses disciples est d’encourager les non-croyants à devenir ses disciples. Ce n’est pas une conquête!

Lire: Le christianisme a largement contribué au développement des sciences

Voir aussi le livre de Vishal Mangalwadi: The Book that Made your World / How the Bible Created the Soul of Christian Civilization

Un autre regard sur les autorités et le pouvoir

Si l’Eglise ne doit pas tomber dans la tentation du pouvoir, quelle que soit sa forme, elle ne peut pas se désintéresser de ce qui se passe dans le monde. Les apôtres Paul et Pierre le rappellent par quelques directives qu’il est bon de mentionner ici:

Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu.[8]

Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute autorité établie parmi les hommes, soit au roi comme souverain, soit aux gouverneurs comme envoyés par lui pour punir les malfaiteurs et pour approuver les gens de bien.[9]

Quels rapports entretenir avec les autorités?

Le principe d’autorité est un principe fondamental dans la Bible. Il est vital pour la bonne marche de l’humanité. Se soumettre aux autorités, c’est reconnaître que Dieu les a instituées. Cela ne veut pas dire qu’on doive leur obéir aveuglément et sans discernement. En effet, dans certaines situations particulières, il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, et en assumer les conséquences.[10]

Puisque c’est Dieu qui a institué les autorités, l’Eglise a pour mission de rappeler à celles-ci que Dieu leur demandera compte de leur gestion. Dans l’Ancient Testament, es Prêtres et, exceptionnellement les prophètes, jouaient ce rôle auprès des rois qui agissaient au mépris de la Loi de Dieu. Souvenons-nous que Dieu a confié à l’humanité entière le mandat de gérer la terre. Ce n’est donc pas la responsabilité exclusive d’un groupe particulier de croyants.[11]

Jésus disait à ses disciples: Vous êtes la lumière du monde.[12] C’est aussi le devoir de l’Eglise de faire briller cette lumière divine dans le monde et d’être un soutien pour ceux qui occupent des responsabilités. Mais pour cela, elle n’a pas besoin d’accaparer le pouvoir.

Nous voyons donc que le rapport des chrétiens au pouvoir politique et judiciaire est très différent de celui des islamistes. Alors que ceux-ci n’acceptent de se soumettre qu’aux autorités islamiques, les chrétiens n’ont pas de difficulté à se soumettre aux non-croyants exerçant l’autorité, parce qu’ils savent que celle-ci est un principe divin. C’est pourquoi, ils n’ont aucune raison d’être conquérants!

Notes

[1] Keshavjee Shafique, L’islam conquérant, Textes-Histoire-Stratégies, Belp, Editions IQRI, 2018.

Poisson Jean-Frédéric, L’islam à la conquête de l’Occident, la stratégie dévoilée, Monaco, Editions du Rocher, 2018.

[2] Le terme « islamiste » désigne ici le musulman qui obéit scrupuleusement au Coran dans son intégralité.

[3] Matthieu 28.19-20

[4] Jean 18.36

[5] Ellul Jacques, La subversion du christianisme, Paris, Seuil, 1984, p.146-154

[6] Ibid, p.120

[7] Ibid, p.121-123

[8] Romains 13.1-7. Voir aussi Tite 3.1

[9] 1 Pierre 2.13-14

[10] Actes 5.29

[11] Genèse 1

[12] Matthieu 5.14

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