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Relations islamo-chrétiennes – la troisième voie

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25 novembre 2021

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Depuis les origines, les relations islamo-chrétiennes ont été difficiles pour diverses raisons, théologiques aussi bien que politiques. Du temps du Prophète de l’islam, d’une manière générale, les chrétiens arabes n’ont pas reconnu le statut prophétique de Mahomet, mais ils n’ont pas eu pour autant à quitter l’Arabie. Leur statut de «Peuple du Livre», qui découle du fait qu’ils ont reçu l’Évangile de Jésus Christ, leur a permis de vivre au sein de la communauté musulmane sans avoir à se convertir à l’islam. Cependant, ils devaient reconnaître et se soumettre à l’autorité de l’Etat islamique.

Rappel historique

Il en est allé tout autrement des chrétiens non-arabes, qui vivaient loin de la communauté musulmane, et des chrétiens d’Occident en particulier. A la naissance de l’islam, l’Empire byzantin, héritier de l’empire romain, avait adopté le christianisme comme religion d’Etat. Ayant sa capitale à Constantinople (ou Byzance) il dominait le Proche-Orient et l’Afrique du Nord. Peu de temps avant la mort du Prophète de l’islam, l’armée musulmane et l’armée byzantine se sont affrontées au nord de l’Arabie (bataille de Mu’ta en 630 et de Tabuk en 631). Ces conflits armés se sont poursuivis après la mort du Prophète de l’islam en 632. Les armées arabo-musulmanes sont alors parties à la conquête du monde en direction du nord, de l’est et de l’ouest. Cent ans exactement après la mort de Mahomet, l’armée musulmane a essuyé sa première grande défaite lors de la bataille de Poitiers contre l’armée de Charles Martel.

Dans ce contexte général de conquêtes musulmanes, les croisades (1096-1291) peuvent être considérées, d’un certain point de vue, comme une opération menée par la chrétienté d’Europe avec deux objectifs en vue: repousser l’invasion des Turcs seljukides qui menaçaient sérieusement l’Empire byzantin, et récupérer la Terre Sainte et l’ensemble des territoires chrétiens de la région tombés aux mains des musulmans. Le souvenir de leurs atrocités et de leur défaite est, aujourd’hui encore, soigneusement entretenu dans la mémoire collective des musulmans et des Arabes en particulier. Dès leur arrivée au pouvoir, les Turcs ottomans se sont attelés à la conquête de l’Europe par le sud-est. En 1453, ils ont pris Constantinople, rebaptisée Istanbul, mais ont échoué par deux fois à conquérir Vienne (en 1529 et 1653).

Différences théologiques

Ainsi, les relations entre musulmans et chrétiens non-arabes ont souvent été difficiles. Quand elles n’ont pas été caractérisées par un conflit ouvert, elles ont été marquées par l’indifférence mutuelle. Ces deux attitudes, ignorance volontaire et agressivité, ont les mêmes racines, à savoir les préjugés, la méfiance, voire la haine qui conduisent tantôt à l’isolement tantôt à l’affrontement. L’islam est en effet perçu comme une religion non seulement post-chrétienne mais anti-chrétienne en raison de son rejet des grandes doctrines de la foi chrétienne que sont la Trinité, l’Incarnation et la Rédemption. Le christianisme occidental, de son côté, est perçu comme une religion hégémonique au plan politique et corrompue au plan moral et religieux. Les deux religions se conçoivent par ailleurs comme religions ultimes, dépositaires de la dernière révélation divine, universelles, missionnaires et offrant à leurs adeptes le seul chemin qui conduise au salut. A ces antagonismes théologiques s’ajoute le fait que la religion a toujours occupé une place prépondérante dans la politique en terre d’islam. Parallèlement, pendant de longs siècles, la plupart des États européens se sont réclamés du christianisme.

Raisons contemporaines du conflit

L’histoire conflictuelle entre chrétiens et musulmans s’est aggravée dans les temps modernes avec le colonialisme européen. A quelques exceptions près, tous les pays musulmans étaient occupés entre les deux guerres mondiales par des puissances européennes (France, Grande Bretagne, Pays-Bas, Italie, Portugal, Espagne). Or, le musulman moyen a, dans le passé et aujourd’hui encore dans une large mesure, toujours considéré ces pays comme des nations chrétiennes. La création de l’État d’Israël en 1948, inconditionnellement soutenue par les pays occidentaux, a envenimé encore un peu plus les rapports entre musulmans et occidentaux, cela d’autant plus que nombre de chrétiens évangéliques apportent leur appui politique à l’État hébreu. Ces chrétiens semblent malheureusement oublier que le peuple palestinien s’est ainsi retrouvé sans patrie, et que les Territoires Palestiniens (ou ce qu’il en reste) sont toujours occupés par Israël. A cet égard, la guerre d’Irak et l’invasion de l’Afghanistan n’ont fait qu’ajouter de l’huile sur le feu.

Du côté des pays occidentaux, le nombre des immigrés en provenance des pays en voie de développement n’a cessé d’augmenter depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Comme à peu près la moitié d’entre eux sont musulmans, certains Occidentaux se sont alarmés de cette invasion silencieuse, ce qui explique les succès électoraux de l’extrême droite dans certains pays.

Néanmoins, bien que nombre de musulmans en Europe et en Amérique ne soient plus des immigrés puisqu’ils sont nés dans le pays d’accueil de leur parents ou en ont acquis la nationalité, un petit nombre d’entre eux, de concert avec des mouvements extrémistes dans les pays musulmans, ont recours à la violence. Ce terrorisme d’inspiration islamique a connu son apogée dans les attentats meurtriers du 11 septembre 2001.

Une approche chrétienne

Face à cette situation, quelle attitude les chrétiens doivent-ils adopter? Ignorer les musulmans n’est plus possible dans un monde où les peuples se trouvent de plus en plus en contact les uns avec les autres, indirectement par l’intermédiaire des moyens modernes de communication (chaînes de télévision satellitaires, internet, téléphones cellulaires), ou directement à travers l’immigration, le tourisme et les voyages d’affaires. Se montrer hostile n’est pas de mise non plus car, plus que l’ignorance, l’hostilité est incompatible avec la foi chrétienne. Dans la parabole du Bon Samaritain Jésus nous enseigne à aimer notre prochain comme nous-mêmes, fût-il d’origine ethnique ou religieuse différente de la nôtre (Luc 10:25-37). Jésus va plus loin en disant qu’il nous faut également aimer nos ennemis (Matthieu 5:43-48). Ce commandement signifie qu’il faut aller à la rencontre de l’autre pour le connaître tel qu’il est réellement et non tel que nous l’imaginons, qu’il faut l’écouter, lui poser des questions non pour le piéger mais pour mieux le comprendre; qu’il faut aider notre prochain s’il est dans le besoin, le respecter, respecter ses croyances même si elles sont très différentes des nôtres. Autrement dit, en tant que chrétiens nous devons respecter les musulmans, leurs Écritures Saintes, leur Prophète, et leur religion d’une manière générale. Cette attitude est requise dans nos relations avec les musulmans si du moins nous prenons au sérieux la règle d’or énoncée par Jésus Christ: « Faites pour les autres tout ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous: c’est là ce qu’ordonnent la loi de Moïse et les livres des prophètes » (Matthieu 7:12). Notre souhait n’est-il pas de voir les musulmans respecter notre foi, renoncer à leurs préjugés, apprendre qui nous sommes réellement et ce que nous croyons, nous accepter tels que nous sommes et entrer dans des relations amicales avec nous? Alors nous devons commencer par donner l’exemple.

Qu’en est-il des contradictions irréconciliables entre la foi chrétienne et la foi musulmane?

Faut-il les ignorer? Faut-il du même coup renoncer à notre mission de témoigner de Jésus Christ aux musulmans? Non, il ne faut pas faire comme si ces contradictions n’existaient pas. Mais dans nos relations avec les musulmans, il est sage de ne pas commencer par les questions qui nous divisent. Il faut d’abord chercher à détruire le mur qui nous sépare et établir des ponts entre nous pour découvrir tout ce qui nous rassemble. Or il y a beaucoup de choses qui nous rassemblent. D’abord comme êtres humains créés et aimés par Dieu, nous avons en commun les mêmes joies, les mêmes luttes, les mêmes rêves, et les mêmes problèmes auxquels nous devons faire face ensemble si nous voulons les résoudre (santé, logement, éducation, chômage, pauvreté, analphabétisme, criminalité, immoralité, corruption, etc.). Nous avons aussi en commun une foi monothéiste. Chrétiens et musulmans croient en un seul Dieu, créateur, bon, juste, fidèle, clément, sage, patient, souverain, etc., un Dieu qui nous demandera au jour dernier de lui rendre compte de la façon dont nous aurons obéi à son double commandement d’aimer Dieu et d’aimer notre prochain. Cette foi monothéiste a pour conséquence que chrétiens et musulmans ont aussi en commun beaucoup de valeurs morales (par exemple, respect de la vie, importance de la famille, solidarité avec les plus démunis, chasteté, fidélité conjugale), et religieuses; (crainte de Dieu, croyance en l’au-delà, confiance en Dieu, dignité inviolable des êtres humains).

Lorsque nous aurons cultivé des relations personnelles de confiance et d’amitié, il sera alors plus aisé d’aborder les sujets qui nous divisent sans verser dans la polémique. La polémique, comme l’étymologie du mot l’indique, signifie «guerre des mots». Il faut reconnaître que l’esprit des croisés a survécu chez certains chrétiens, y compris ceux qui veulent présenter Jésus Christ aux musulmans. Les croisés d’aujourd’hui sont les chrétiens qui veulent attaquer les musulmans non pas avec l’épée mais avec des mots, des mots qui blessent, des mots qui parfois finissent par tuer. Ils veulent détruire l’islam, une religion qui selon eux est inspirée par le diable. Ils se moquent du Coran et ridiculisent le Prophète de l’islam auquel il reproche, entre autres, sa carrière politique et ses trop nombreux mariages. Ils oublient, par exemple, que dans l’Ancien Testament il y a des prophètes polygames (à commencer par Abraham et sans parler de Salomon; il y a des prophètes qui ont eu recours à la violence (David a conquis Jérusalem par une «guerre sainte», 2 Samuel 5:6-10, et sans parler d’Élie qui a fait égorger en un jour quatre cents cinquante faux prophètes, 1 Rois 18:40). La polémique est aussi contre-productive car elle n’encourage pas les musulmans à prêter l’oreille à ce que les chrétiens auraient à partager avec eux. Au contraire, elle les amène à critiquer le christianisme avec plus de véhémence. Enfin, la polémique est aux antipodes de l’Évangile, qui est un message de paix, de pardon et de réconciliation, et qui doit donc être partagé dans un esprit non-violent (Éphésiens 6:15).

Lire: L’islam à l’épreuve de ses origines

Lire aussi: Between Naivety and Hostility (recension en français d’un livre en anglais)

Un dialogue respectueux et intelligible

Lorsque le temps sera venu pour le chrétien de parler de sa foi avec le musulman, il devra s’attendre à répondre à des questions difficiles, auxquelles il ne s’attendait peut-être pas, sur Dieu, Jésus Christ et la Bible. En effet, sur tous ces sujets et sur bien d’autres l’enseignement de l’islam est très différent de celui du christianisme. Le chrétien devra faire preuve de patience et de discernement pour dissiper les malentendus autant que faire se peut. Il devra demander la sagesse au Saint Esprit pour l’aider à expliquer le message de l’Évangile de manière appropriée, c’est-à-dire en restant fidèle à l’Écriture tout en étant compréhensible pour son auditeur. Il devra engager un dialogue intentionnel avec le musulman, dialogue dans lequel les questions posées sont pour lui autant d’occasions de réfléchir à sa propre foi que de témoigner de Jésus Christ. L’apôtre Pierre dit bien « Soyez toujours prêts à répondre à tous ceux qui vous demandent des explications au sujet de l’espérance qui est en vous. Mais faites-le avec douceur et respect. (1 Pierre 3:15)

Ici l’apôtre insiste sur l’importance du respect d’autrui dans le témoignage chrétien. Il nous invite, lorsque nous sommes interrogés, à ne pas nous dérober à notre mission. Cette mission consiste à «défendre » la foi chrétienne, selon le sens grec du mot traduit ici par «explications». Le témoignage chrétien a nécessairement une dimension apologétique lorsqu’il est rendu à un musulman à cause des critiques que l’enseignement islamique formule à l’endroit de la foi chrétienne. Mais il faut que le témoin-avocat de l’Évangile fasse son plaidoyer dans le respect de l’islam et des musulmans. Il devra par conséquent examiner attentivement ces critiques avant de donner sa réponse, une réponse qui sera d’autant plus à propos qu’elle sera personnelle, rationnelle et fondée sur l’Écriture Sainte.

En conclusion, ce «dialogue respectueux et intelligible » traduit l’enseignement de l’Évangile. Le Coran, de son côté, exhorte les musulmans à adopter une approche similaire. Il les appelle à discuter avec les chrétiens (et les juifs) d’une façon sincère, équitable et respectueuse, et souligne ce qu’il y a de commun entre les deux communautés religieuses: « Ne débattez avec le Peuple du Livre que de la façon la meilleure, sauf avec ceux d’entre eux qui sont injustes. Dites : Nous croyons à ce qui est descendu vers nous et à ce qui est descendu vers vous. Notre Dieu et votre Dieu est le même, et c’est à Lui que nous nous soumettons ». (29:46; voir aussi 3:64)

Les deux communautés, chrétienne et musulmane, ont le droit, voire le devoir, de rendre témoignage à la vérité, telle que chacune la conçoit, pourvu qu’elles le fassent dans le respect de la conscience et de la liberté de chacun, sans pression aucune. Il est donc temps que les chrétiens et les musulmans renoncent à l’ignorance réciproque aussi bien qu’à la violence qui a caractérisé trop souvent leurs rapports. Il est temps qu’ils s’engagent dans des relations qui ne soient pas fondées sur des rapports de force mais sur une lecture éclairée de leurs Écritures respectives et sur le désir de chaque communauté de servir Dieu en se mettant ensemble au service des plus démunis.

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