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Pourquoi les musulmans croient-ils que la Bible a été falsifiée?

Pourquoi les musulmans croient-ils que la Bible a été falsifiée? Ils supposent depuis longtemps que l’Ancien comme le Nouveau Testament étaient à l’origine des révélations authentiques de Dieu, mais qu’à une certaine époque, des « gens » en ont modifiés le texte.

Les musulmans non-théologiens n’ont qu’une vague idée de la façon dont ces changements ont été effectués et quels passages bibliques seraient concernés. Par contre, les théologiens musulmans s’efforcent de corroborer le dogme islamique de la falsification des textes bibliques au moyen d’arguments tirés de l’exégèse historico-critique pratiquée par les théologiens chrétiens.

Cette accusation de falsification de la Bible est déjà présente dans le Coran. Mais l’accusation lancée contre les juifs et les chrétiens d’avoir tordu le texte n’a certainement pas été au centre des affrontements qui ont opposé chrétiens et musulmans. Le Coran rapporte dans de nombreux passages que Dieu a, à maintes reprises, envoyé de nouveaux prophètes pour ramener à la révélation originelle à son peuple infidèle. Dans le passé, Dieu a donné aux Juifs et aux chrétiens sa révélation, dans leur langue, mais ils s’en sont écartés. Ils auraient dû y retourner grâce aux appels de Muhammad à l’islam.

Le fait que le Coran mentionne l’envoi répété de prophètes est, de toute évidence, à interpréter dans ce contexte historique. C’est un argument justifiant l’envoi de Muhammad comme successeur de Jésus-Christ, Juifs et chrétiens ayant refusé de le reconnaître comme envoyé de Dieu. Cet argument a en même temps servi à donner à Muhammad une légitimité aux yeux de ses compatriotes. Leur foi polythéiste et le culte des idoles les ayant entraînés loin de la vraie adoration de Dieu, Muhammad devait leur rappeler la croyance au Dieu unique qui existait depuis des temps immémoriaux.

Selon le point de vue musulman, les chrétiens ont eux aussi abandonné la vraie foi proclamée depuis la plus haute antiquité, et ont placé deux autres dieux aux côtés de Dieu, à savoir, Marie et Jésus. Et non contents de cela, ils ont accepté bien d’autres erreurs. Une des plus graves a été de ne pas reconnaître Muhammad comme prophète. Les théologiens musulmans tiennent pour acquis que l’islam est la religion originelle de l’humanité et qu’Adam – le Coran donne un compte rendu relativement détaillé du Paradis – était déjà musulman et confessait la foi au Dieu unique.

Il ne fait aucun doute que l’accusation de distorsion textuelle faite du temps de Muhammad et au cours des premiers siècles de l’islam n’avait pas l’importance qu’elle a prise au cours des deux derniers siècles. Les théologiens musulmans du 19ème siècle ont repris cette accusation. Ils l’ont étayée en recourant aux nombreux arguments qu’ils ont tirés des travaux de théologiens chrétiens européens adedptes de la méthodes de la critique historique. Du point de vue musulman, ces théologiens ont administré la «preuve» que le christianisme n’est pas digne de foi puisqu’il n’est pas historiquement fiable.

Que dit le Coran à propos de la Bible ?

Le Coran mentionne plusieurs «textes» révélés à d’autres prophètes avant Muhammad. Certaines de ces références sont imprécises. Ainsi, par exemple, Abraham et Moïse auraient possédé plusieurs « pages » (la seule référence à cela se trouve en Sourate 87.18-19) – sans doute pages d’un livre – qui louent les avantages de la vie dans l’au-delà par rapport à la vie ici-bas. Cela suggère peut-être qu’Abraham possédait un texte, ou qu’il avait reçu révélation d’un texte. Malheureusement, le Coran n’est pas clair sur ce point. En dehors de cette allusion, il ne fournit aucune autre preuve qu’Abraham pourrait avoir reçu une révélation de Dieu.

Voir : Regards coraniques sur les chrétiens

Voir aussi: A-t-on vraiment falsifié la Bible?

Les déclarations positives du Coran sur la Bible

Le Coran valorise la Bible

Fait intéressant, au début des révélations de Muhammad, le Coran ne remet pas fondamentalement en cause la valeur de la Bible et des autres livres descendus du ciel dans les temps anciens. Au contraire, il la valorise. Ce n’est que plus tard que l’accusation de distorsion du texte apparaît.

D’après le Coran, les textes envoyés avant Muhammad ne se contredisent pas les uns les autres, mais, au contraire, se renforcent mutuellement. Chaque prophète, envoyé à son peuple avec une révélation de Dieu, confirme le message de ses prédécesseurs puisque le message de Dieu ne peut jamais changer.

Muhammad confirme le message de Jésus

Ainsi, Jésus a confirmé la mission de Noé, d’Abraham et de Moïse tout comme Muhammad confirme le message de Jésus. Le Coran indique clairement que Dieu a envoyé l’Évangile comme un véritable guide pour les êtres humains, au même titre que la Torah donnée plus tôt: « Il a fait descendre sur toi le Livre avec la vérité, confirmant les Livres descendus avant lui. Et Il fit descendre la Thora et l’Évangile auparavant, en tant que guide pour les gens.» (Sourate 3: 3 -4). Bien sûr, sourate 5: 46 parle d’une manière particulièrement positive de la valeur de l’Évangile, qui contient le « vrai guide » et « lumière ».

Dans un premier temps, le Coran ne dit nulle part qu’il dépasserait ou remplacerait les révélations de l’Ancien et du Nouveau Testament (ou, comme les appelle le Coran, la Torah et l’Évangile). Au contraire, Muhammad place le Coran sur le même niveau que les révélations antérieures, car, à son avis, il confirme les textes antérieurs (Sourate 2: 97). De même, le Coran n’avance pas l’argument que les apologètes musulmans utiliseront fréquemment plus tard selon lequel le « véritable Évangile » de l’époque de Jésus a été perdu et que l’Église ne l’a jamais eu entre les mains. Pour le moment, le Coran ne laisse pas entendre qu’il pourrait y avoir une différence entre l’Évangile révélé par Dieu et les textes chrétiens du temps de Muhammad.

La déception de Muhammad

Cependant, il faut prendre en considération le fait qu’au début de sa prédication, Muhammad pensait que juifs et chrétiens reconnaitraient son appel prophétique. Il croyait également que le message du Coran était en tout point en harmonie avec les textes chrétiens. Cependant, quand il est devenu clair que ni les Juifs ni les chrétiens ne le recevraient comme prophète de Dieu, Muhammad s’en est pris à eux. Aux Juifs, il a infligé des défaites militaires et les a éliminés de sa sphère d’influence à Médine en les massacrant ou en les explusant. Quant aux chrétiens, dont il avait d’abord fait l’éloge de la piété dans le Coran, il commença à les accuser d’avoir des opinions théologiques erronées telles que la filiation divine de Jésus et la trinité.

Les déviations de la Bible par rapport au Coran sont des aberrations chrétiennes

Juifs et chrétiens ne reconnaissent pas Muhammad comme prophète

Au début de son activité publique, Muhammad croyait que le contenu de son message s’accordait avec les révélations faites aux Juifs et aux chrétiens. Mais son estime initiale pour eux en tant que porteurs de la révélation divine s’est transformée en hostilité quand Juifs et chrétiens l’ont rejeté et se sont moqué de lui. Rendu conscient par ce rejet de la différence entre sa révélation et celle de l’Ancien et du Nouveau Testament, Muhammad, toujours convaincu d’être lui-même porteur de la pure Parole de Dieu, en a conclu que les divergences de contenus entre les deux révélations ne pouvaient s’expliquer que par une distorsion des textes dont juifs et chrétiens étaient responsables.

En cette période de lutte pour obtenir la reconnaissance des Juifs et des chrétiens, à partir de 622 après J.C., Muhammad s’est mis à proclamer que les Juifs et les chrétiens avaient falsifié leurs textes, sans quoi ils l’auraient reconnu comme prophète de Dieu. Il a ainsi élevé l’islam au statut de religion originelle de l’humanité. De ce fait, Adam et, après lui, Abraham, Moïse et Jésus lui-même, affirment les savants musulmans, ont toujours proclamé la foi au Dieu unique et la mission de Muhammad. Par conséquent, si ni les chrétiens ni les Juifs n’ont reconnu Muhammad, cela ne pouvait s’expliquer que par leur éloignement du message originel de Dieu.

Muhammad accuse Juifs et chrétiens d’avoir falsifié leurs Ecritures

C’est la raison par laquelle, dans le Coran, Muhammad revient sur l’avis extrêmement favorable qu’il avait à propos des textes juifs et chrétiens. Sourate 5: 13-14 dit maintenant sèchement: « Et puis, à cause de leur violation de l’engagement, Nous les avons maudits et endurci leurs cœurs: ils détournent les paroles de leur sens et oublient une partie de ce qui leur a été rappelé …… Et de ceux qui disent: ‘Nous sommes chrétiens’, nous avons pris leur engagement. Mais ils ont oublié une partie de ce dont ils avaient été rappelé. Nous avons donc suscité entre eux l’inimitié et la haine jusqu’au Jour de la Résurrection ».

Par ailleurs, en Sourate 2: 74-75 allègue que, après une confrontation avec le prophète Moïse, les Israélites ont intentionnellement falsifié la Parole de Dieu: « Puis, et en dépit de tout cela, vos cœurs se sont endurcis; ils sont devenus comme des pierres ou même plus durs encore; car il y a des pierres d’où jaillissent les ruisseaux, d’autres se fendent pour qu’en surgissent l’eau, d’autres s’affaissent par crainte d’Allah. … Eh bien, espérez-vous (les musulmans) que de pareils gens (les juifs) vous partagerons la foi? Alors qu’un groupe d’entre eux, après avoir entendu et compris la parole d’Allah, la falsifièrent sciemment».

La raison intime qu’a Muhammad d’accuser Juifs et chrétiens de falsification

Dans les dernières années de sa vie, Muhammad accuse clairement les Juifs et les chrétiens de falsification textuelle. Mais aujourd’hui, parmi les savants musulmans, il y a un relatif consensus selon lequel Muhammad ne voulait pas suggérer que les Juifs et les chrétiens ont procédé à des changements majeurs dans le texte de la révélation originelle. Le Coran ne traite pas le contenu de la Bible d’une manière discriminatoire, mais plutôt répète à l’envie plusieurs des accusations classiques contre les chrétiens et déplore régulièrement, par exemple, la filiation divine de Jésus, la trinité, et la crucifixion. Dans le cas de Muhammad, il faut comprendre l’accusation de falsification du texte comme sa réponse au refus des Juifs et des chrétiens de reconnaître en lui le messager de Dieu.

L’avis des théologiens musulmans sur la falsification de la Bible

Dans l’apologétique musulmane postérieure à Muhammad, les savants musulmans ont lancé à plusieurs reprises cette accusation de falsification textuelle et, au fil du temps, l’ont développée jusqu’à ce qu’émerge une théorie de la complète falsification des textes bibliques. Les théologiens musulmans ont émis différents avis au sujet de ce qu’il fallait entendre par falsification des textes juifs et chrétiens. Selon certains exégètes du Coran, les juifs et les chrétiens ont modifié le libellé du texte biblique (par exemple Bûrûnî) tandis que selon d’autres ils n’auraient fait que donner une fausse interprétation de certaines phrases (par exemple Tabari et Ibn Haldun). Cependant, le point de vue musulman sur les proportions de la falsification que le texte biblique aurait subie est devenu de plus en plus sévère avec le temps.

Mis à part certaines exceptions, néanmoins, les premiers textes apologétiques musulmans mettent peu l’accent sur cette accusation. Ils formulent moins de charges concrètes concernant ce qu’il faut entendre comme falsification textuelle. Mais avec le développement des controverses entre chrétiens et musulmans, ce point a gagné en importance. Il est bientôt devenu commun de penser que les Juifs avaient changés des lettres et le sens des mots dans l’Ancien et que les chrétiens s’étaient livrés à une falsification systématique et délibérée du Nouveau Testament. La «preuve» de cela, a-t-on déclaré côté musulman, réside dans le fait que l’Ancien et le Nouveau Testament avaient annoncé Muhammad comme ultime prophète de Dieu. Or des « gens » avaient systématiquement effacé ces prophéties de tous les manuscrits de la Bible.

Le dogme musulman du Coran comme révélation originale

Du point de vue musulman, l’idée que le Coran est éternel et Parole incréée de Dieu (présente depuis l’origine du temps) supporte l’hypothèse de la falsification textuelle. On le considère en effet comme une copie exacte de la révélation originelle dans le ciel dont l’existence précède celle de l’Ancien et du Nouveau Testament. Du point de vue musulman, il est évident qu’il faut préférer la révélation originelle à celle qui vient après parce que la première est la source véritable de la Parole divine.

En outre, si, comme les apologètes musulmans le font, on tient pour acquis qu’Abraham a établi le sanctuaire central de l’Islam, la Kaaba à La Mecque, alors l’Islam doit être la religion qui est née la première ce qui en fait donc la religion originelle de l’humanité. Même si Moïse et Jésus ont proclamé leur message avant Muhammad, Muhammad ne fait que rappeler le message originel, le message d’Abraham, et ramène ainsi l’humanité aux origines de la révélation de Dieu.

Lire aussi: A-t-on vraiment falsifié la Bible

Des théologiens (chrétiens) de la critique historique comme principaux témoins de la preuve de la vérité de l’islam

Au 18ème et 19e siècle, la critique biblique, alors très populaire en Europe, a finalement fourni aux théologiens musulmans la « preuve » longtemps cherchée: on ne pouvait tenir l’Ancien et le Nouveau Testament pour révélation divine. Au Proche-Orient, on a traduit des théologiens et philosophes européens, dont le souci commun était de remettre en cause l’authenticité de la Bible. Presque unanimement reconnue pendant de nombreux siècles par l’Église, ils se sont ingéniés à en ruiner la portée en énumérant de prétendues contradictions ou incohérences historiques. Leurs oeuvres ont ainsi fourni les arguments que les savants musulmans ont intégrés au dogme musulman de la falsification de la Bible. Si même des savants « chrétiens » de la critique textuelle «prouvaient» la falsification de leurs propres textes, tout cela, pour les théologiens musulmans, constituait la confirmation finale des affirmations du Coran, qui a toujours formulé cette accusation, quoique de manière moins détaillée. [1]

On peut considérer que les comparaisons entre les Évangiles synoptiques – que les ouvrages contemporains d’apologétiques musulmanes citent comme défavorable à la crédibilité de l’Évangile – proviennent exclusivement d’œuvres de théologiens européens que l’apologétique musulmane fait siennes. Le catalogage des différences entre les textes des Évangiles n’est donc pas le «résultat» de recherches musulmanes indépendantes sur le texte biblique. Lorsque les apologètes musulmans citent des théologiens européens, c’est pour souligner les «contradictions» du texte biblique, ou afin d’élaborer un contraste entre la doctrine « paulinienne » et la prédication de Jésus et des premiers disciples. Quiconque lit la littérature apologétique musulmane en étant attentif à l’importation de pensées théologiques européennes s’étonnera de constater la forte dépendance de cette littérature à l’égard des écoles théologiques occidentales et des pensées qu’elles ont produites. Il s’étonnera également de constater combien cette littérature est au fait des développements théologiques actuels en Europe.

Trois apologètes islamiques avocats de la théorie de la falsification du texte biblique

1.   Muhammad Rashid Rida (1865-1935)

     

Muhammad Rashid Rida était l’un des théologiens musulmans les plus influents au tournant du 20ème siècle. Il était élève du célèbre Mohammad Abduh, théologien égyptien réformateur et adversaire résolu du christianisme. Il fut actif en tant que mufti et ainsi habilité à prononcer des opinions juridiques. A ce titre, il donna publiquement son point de vue sur les problèmes les plus divers touchant à l’économie, à la politique et à la vie sociale.

Pour nous, la manière dont Rashîd Ridâ appréhende le christianisme et la question de la fiabilité de la transmission de la Bible est d’une importance particulière: «… Ridâ considère les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament comme un mélange de mythes, de légendes et d’histoires mêlés au message biblique authentique tel que Dieu l’a révélé». [2]

Quand il prend position par rapport au christianisme et à la Bible, Rachid Rida, à l’instar des apologètes musulmans du 19ème siècle, s’inspire substantiellement de l’exégèse historico-critique de la Bible, afin de réfuter le christianisme en recourant aux travaux de ses propres « avocats ». À cette fin, Ridâ s’est beaucoup intéressé aux textes du Nouveau Testament et à plusieurs ouvrages de théologiens européens, philosophes et hommes de lettres. En dépit de sa position critique à l’égard du christianisme, il était d’avis, contrairement à beaucoup d’apologètes musulmans, que le texte original de l’Ancien et du Nouveau Testament n’avait pas subi de falsification dans une période récente. Les falsifications du texte original avait eut lieu entre le moment de la prédication de la doctrine chrétienne et son enregistrement. [3] Cette conviction le poussa à procéder à une critique fondamentale.

Rachid Rida tient en particulier l’apôtre Paul pour responsable de l’introduction d’éléments païens dans la foi chrétienne. Cet argument est l’un des plus fréquemment utilisés par l’apologétique islamique. D’après Rida, les paraboles de Jésus ont reçu diverses interprétations, ce qui provoqua des divisions parmi les chrétiens et entraîna le développement de textes divergents de l’Évangile, plus du tout semblable à la Parole originelle de Dieu.

En outre, Rida doute que les quatre Évangiles nés au cours du premier siècle et acceptés comme canoniques correspondent aux textes actuels de l’Évangile. Il suppose en effet que quand les persécutions ont frappé les chrétiens au cours des trois premiers siècles, ils n’ont pas pu préserver les Évangiles originaux. « Comme la plupart des musulmans, il situe la rupture décisive dans l’histoire du christianisme au IVe siècle … » [4], car, comme les apologètes musulmans l’ont maintes fois souligné, les doctrines de la trinité et du salut par la mort de Jésus sur la croix ont été élevées au rang de dogme lors du Concile de Nicée en 325 après J.C., introduisant ainsi une erreur aux conséquences graves [5]. En effet, la trinité a, de ce fait, remplacé l’unicité de Dieu (en arabe: Monothéisme) par une forme de polythéisme. Par conséquent, les Évangiles qui nous ont été transmis ont perdu leur perfection en perdant leur pureté.

2.  Muhammad Muhammad Abu Zahra (1898-1974)

Muhammad Muhammad Abu Zahra, ancien professeur de religion comparée à la célèbre université égyptienne al-Azhar et titulaire d’une chaire à la faculté de droit de l’université du Caire, a été l’un des savants les plus importants du monde musulman du 20ème siècle. Ses écrits exercent une grande influence aujourd’hui encore. Abu Zahra donna des « Conférences sur le christianisme » au Caire pour la première fois en 1942. Publiées par la suite en plusieurs éditions, elles continuent de jouer un rôle important dans l’affrontement entre l’islam et le christianisme. Comme Rachid Rida, Abû Zahra est également un adversaire résolu du christianisme.

Quand il cite des opinions différentes sur la date de composition et sur la question de l’inspiration des quatre Évangiles comme arguments contre la plausibilité du christianisme, Abu Zahra s’appuie lui aussi sur les résultats de la méthode historico-critique de la littérature théologique et philosophique européenne. Dans sa sélection « d’ouvrages chrétiens », il se réfère en particulier à la « Vie de Jésus » d’Ernest Renan (publié à Paris en 1863) et aux écrits de Léon Tolstoï. En raison de son ignorance des langues européennes, il a dû dépendre de traductions arabes de ces ouvrages. [6]

Les « Conférences » d’Abu Zahra se concentrent d’abord sur une représentation idéalisée du christianisme qui s’accorde parfaitement avec l’Islam et qui, à son avis, était enseigné par Jésus. Ce christianisme, selon lui, n’est cependant plus contenu dans les textes chrétiens puisqu’ils ont été corrompus par les éléments païens qui ont trouvé place dans la doctrine chrétienne [7]. C’est donc dans le Coran qu’il faut rechercher le christianisme.

Abu Zahra croit pouvoir identifier trois raisons à la falsification de la doctrine chrétienne [8]:

a.  Les falsifications des textes écrits à l’époque des débuts du christianisme résultent de la persécution des premiers chrétiens.

b.  La philosophie néoplatonicienne a influencé les textes qu’ont écrit les premiers chrétiens.

  1. c.  Le caractère syncrétique de la religion romaine et la philosophie grecque ont falsifié l’Évangile de l’unicité de Dieu originellement prêché par Jésus, de sorte que le christianisme présente aujourd’hui un mélange d’éléments issus de la religion juive, du paganisme romain et du néoplatonisme. [9]

Une autre partie des « Conférences » contient des critiques d’Abu Zahra à l’encontre du christianisme actuel. Après avoir analysé l’histoire de l’Église chrétienne avec ses conciles et ses divisions théologiques, Abu Zahra conclut que la trinité, par exemple, n’était pas une doctrine chrétienne originelle, mais qu’elle a été introduite dans le christianisme après la naissance de l’école philosophique d’Alexandrie [10] et que la chrétienté était divisée sur cette question. C’est au cours des premiers siècles de l’Eglise que les conciles ont formulé les dogmes de la divinité du Saint-Esprit et celle concernant le Messie. Selon lui, ces dogmes ont d’ailleurs provoqué une résistance non négligeable de la part de certains groupes chrétiens. [11]

Paul, artisan de la falsification du christianisme

Que le christianisme moderne résulte d’une falsification du christianisme originel est un argument que beaucoup de théologiens musulmans soutiennent. Il existe, cependant, de nombreuses théories sur la cause et le moment de cette falsification. Dans ces théories de la falsification, les ouvrages d’apologétiques islamiques anciens ou modernes considèrent Paul comme le principal responsable de l’introduction de fausses doctrines dans le christianisme. Hermann Stieglecker situe au Xe siècle après J.-C. (soit environ 300 ans après la proclamation de l’Islam) la période la plus récente pour la formulation de l’avis selon lequel Paul aurait corrompu la doctrine chrétienne. [12]

3.  Ahmad Chalabi (né env. en 1921)

Ahmad Chalabi (nés entre 1921 et 1924), théologien égyptien, titulaire d’un doctorat en histoire de l’Université de Cambridge, a fait des commentaires détaillés sur le christianisme dans une étude théologique comparative publiée en 1959 sous le titre « Comparaison des Religions » (en arabe: al-muqâranât Adyan). Il aborde des sujets tels que la trinité, la crucifixion, et le salut. Il est cité ici comme exemple d’érudit musulman du 20ème siècle.

Pour son analyse du christianisme, Chalabi a eu recours aux travaux de savants chrétiens et non-chrétiens occidentaux [13], à des traités polémiques musulmans ainsi qu’à des articles de chrétiens convertis à l’islam. Pour Chalabi, le christianisme est un mélange d’opinions personnelles de l’apôtre Paul et d’éléments païens qu’il a introduits dans le christianisme. [14] Cet auteur rend également responsables les Evangiles de Luc et de Jean d’avoir « dégénéré » le christianisme.

Pour Chalabi, des légendes bouddhistes et des récits des divinités païennes de l’Inde et du Proche-Orient ont servi de modèle à la rédaction de certains passages des quatre Évangiles, tels que la naissance de Jésus, la tentation et la résurrection. Chalabi rejette aussi les miracles racontés dans les évangiles. Il y a, à son avis, trop de miracles. Ils sont, de plus, liés de manière si théâtrale qu’ils paraissent invraisemblables et, à son avis, ne correspondent à aucun but précis. [15]

On pourrait mentionner bien d’autres théologiens musulmans ayant cette attitude négative envers les enseignements chrétiens. Muhammad Rashid Rida, Muhammad Muhammad Abu Zahra, et Ahmad Chalabi sont des exemples de la critique fondamentale que les théologiens musulmans influents font du christianisme. Ils montrent aussi l’importance du soutien que la critique biblique européenne a fourni aux apologètes musulmans.

Notes

[1] Le travail le plus complet et peut-être le plus influent d’un théologien musulman du 19ème siècle est certainement l’ouvrage intitulé Izhar al-haqq (La divulgation de la Vérité), par Ibn Rahmatullah Halil al-‘Uthmani al-Kairânawî. D’abord publié en 1867 à Constantinople, il a régulièrement été réédité jusqu’à nos jours.

[2] M. Ayoub, « Vues musulmanes du christianisme: Quelques exemples modernes», dans: Islamochristiana (Rome), 10 (1984), pp 49-70, ici p. 58.

[3] Muhammad Rashid Rida a résumé ses idées sur la falsification du texte de l’Ancien et du Nouveau Testament dans une série de seize articles parus dans la revue égyptienne Al-Manar (Le Phare). Ceux-ci ont été rassemblés au Caire en 1928 et publiés dans un livre sous le titre shubuhât-Nasara wa-al-islâm hujâj (3e édition, 1956). Avec ce texte, Ridâ voulait faire contrepoids à l’œuvre des missionnaires européens. Voir par exemple le texte de Niqûlâ Yaqub Gibril, abhâth al-mujtahidîn (Le Caire, 1901).

[4] Olaf Schumann, Der Christus der Muslime. Christologische Aspekte in der Literatur arabisch-islamischen (Gütersloh, 1975), p. 122. Voir en : Al-Manar 10 (1907-1908), p. 386, les déclarations de Rida sur la compilation, au IVe siècle après J.C., des quatre Évangiles reconnus aujourd’hui.

[5] Le Concile de Nicée en 325 après J.C., avant tout, a rejeté l’arianisme et a formulé le dogme de la filiation divine de Jésus, tandis que la formulation du dogme de la trinité ne peut être vérifié qu’en 381.

[6] Ayoub, «Vues», p. 61.

[7] Abû Zahra, muhâdarât, pp 160ff.

[8] Décrit par Ayoub, «Vues», pp 63-64.

[9] Abu Zahra, muhâdarât, p. 11.

[10] Abu Zahra sur la trinité: muhâdarât, pp 103-110.

[11] Abu Zahra, muhâdarât, pp 129ff.

[12] Hermann Stieglecker, Die Glaubenslehren des Islam (Paderborn: Ferdinand Schöningh, 1962/1983), p. 259.

[13] Ahmad Chalabi, muqâranât al-Adyan, II: al-masîhîya, Al-Qahira, 2. éd., 1965, pp 55-56.
[14] Shalabi, muqâranât, pp 130-140, et Ayoub, «Vues», p. 64.

[15] Shalabi, muqâranât, pp 25FF; Vous pouvez aussi consulter Ayoub, « Vues », p. 62.

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