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Pourquoi je suis devenue chrétienne

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13 août 2024

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Pourquoi je suis devenue chrétienne. Née musulmane, passée à l’athéisme, Ayaan Hirsi Ali décrit ici les étapes du parcours qui l’ont conduite à embrasser la foi chrétienne.

 

En 2002, j’ai découvert une conférence de Bertrand Russell de 1927. Elle été intitulée « Pourquoi je ne suis pas chrétien ». En la lisant, il ne m’est pas venu à l’esprit qu’un jour, près d’un siècle après qu’il l’ait prononcée devant la branche londonienne de la National Secular Society, je serais amenée à écrire un essai portant le titre opposé.

Musulmane non pratiquante

L’année précédente, j’avais publiquement condamné les attaques terroristes des 19 hommes qui avaient détourné des avions de ligne pour les jeter contre les tours jumelles de New York. Ils l’avaient fait au nom de ma religion, l’islam. J’étais alors musulmane, mais non pratiquante. Si je condamnais vraiment leurs actes, qu’est-ce que cela impliquait pour moi ? En fait, le principe sous-jacent qui justifiait ces attentats était religieux : il s’agissait du djihad ou de la guerre sainte contre les infidèles. L’ensemble de la communauté musulmane et moi-même, pouvions-nous simplement prendre nos distances vis-à-vis de ces actes terroristes et de leurs horribles résultats ?

À l’époque, de nombreux dirigeants occidentaux – politiciens, universitaires, journalistes et autres experts – ont insisté sur le fait que les motifs des terroristes étaient autres que ceux qu’Oussama Ben Laden, leur chef, et eux-mêmes avaient si clairement exprimés. L’islam avait ainsi un alibi.

Ces excuses n’étaient pas seulement condescendantes à l’égard des musulmans. Elles ont aussi permis à de nombreux Occidentaux de se réfugier dans le déni. Il était plus facile de blâmer les erreurs de la politique étrangère américaine que d’envisager la possibilité que nous ayons affaire à une guerre de religion. La même tendance s’est manifestée au cours des cinq dernières semaines (après l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023). Des millions de personnes ont compati au sort des habitants de Gaza, cherchant à justifier les attaques terroristes du 7 octobre en les considérant comme une réponse légitime à la politique du gouvernement israélien.

Attrait de l’athéisme

Lorsque j’ai lu la conférence de Russell, ma dissonance cognitive s’est atténuée. J’ai été soulagée d’adopter une attitude sceptique à l’égard des doctrines religieuses, d’abandonner ma foi en Dieu et de déclarer qu’il n’existait pas. Mieux encore, je pouvais rejeter l’existence de l’enfer et le danger d’un châtiment éternel.

L’affirmation de Russell selon laquelle la religion est principalement fondée sur la peur a trouvé un écho en moi. J’avais vécu trop longtemps dans la terreur de toutes les punitions terribles qui m’attendaient. Alors que j’avais abandonné toutes les raisons rationnelles de croire en Dieu, cette peur irrationnelle du feu de l’enfer persistait. La conclusion de Russell m’a donc soulagée : « Quand je mourrai, je pourrirai »

Mon expérience de l’islam

Pour saisir pourquoi je suis devenue athée il y a 20 ans, il faut d’abord comprendre le type de musulmane que j’étais. En 1985, lorsque les Frères musulmans ont pénétré dans ma communauté à Nairobi, au Kenya, j’étais adolescente. Avant leur arrivée, je n’avais pas vraiment compris nos pratiques religieuses. J’avais enduré le rituel des ablutions, les prières et le jeûne comme des pratiques fastidieuses et inutiles.

Force des prédicateurs « fréristes »

Les prédicateurs des Frères musulmans ont bouleversé ma perception. Ils m’ont apporté une direction : le droit chemin ; un but : travailler pour être admis au paradis d’Allah après la mort ; une méthode : le manuel d’instruction du Prophète, qui énumère les choses à faire et à ne pas faire – le halal et le haram. Commentaire détaillé du Coran, le hadith nous expliquait comment distinguer entre le bien et le mal, entre Dieu et le diable.

Les prédicateurs « fréristes » ne laissaient rien à l’imagination. Ils nous ont placés devant un choix : nous efforcer de vivre selon les instructions du prophète et récolter les glorieuses récompenses dans l’au-delà – en attendant, l’acte le plus méritoire ici-bas était de mourir en martyr pour l’amour d’Allah – ou nous adonner aux plaisirs du monde qui nous vaudraient la colère d’Allah et la condamnation éternelle à brûler dans les flammes de l’enfer. Au nombre des « plaisirs » qu’ils décriaient, il y avait le fait de lire des romans, d’écouter de la musique, de danser et d’aller au cinéma – autant d’activités dont j’avais honte d’admettre que je les aimais.

La caractéristique la plus frappante des Frères musulmans a été leur capacité à nous transformer, moi et mes camarades adolescents, de croyants passifs en activistes, presque du jour au lendemain. Nous ne nous sommes pas contentés de parler ou de prier pour des choses : nous avons agi. En tant que filles, nous avons revêtu la burka et renoncé à la mode et au maquillage occidentaux. Les garçons cultivaient leur pilosité faciale. Ils portaient le tawb (robe blanche) des pays arabes ou des pantalons qui s’arrêtaient au-dessus des chevilles. Nous agissions en groupes et offrions nos services charitables aux pauvres, aux personnes âgées, aux handicapés et aux faibles. Nous encouragions nos concitoyens musulmans à prier et pressions les non-musulmans de se convertir à l’islam.

Vision intransigeante et haine

Lors des séances d’étude de l’islam, nous faisions part de nos inquiétudes au prédicateur qui nous instruisait. Par exemple, que faire avec les amis que nous aimions mais qui refusaient d’accepter notre dawa (invitation à la foi) ? Pour toute réponse, on nous a rappelé à plusieurs reprises la clarté des instructions du Prophète. On nous a dit en termes limpides que nous ne pouvions pas être loyaux envers Allah et Muhammad tout en conservant des liens d’amitié et de loyauté avec les incroyants. S’ils rejetaient explicitement notre appel à l’islam, nous devions les haïr et les maudire.

Une haine particulière était réservée à un sous-groupe de mécréants : les Juifs. Nous les maudissions plusieurs fois par jour et exprimions notre horreur, notre dégoût et notre colère face à la litanie des délits qu’ils avaient prétendument commis. Les Juifs avaient trahi notre Prophète. Ils avaient occupé la sainte mosquée de Jérusalem. Ils avaient continué à répandre la corruption du cœur, de l’esprit et de l’âme.

Lire aussi: Pourquoi des musulmans quittent-ils l’islam?

Le choix de l’athéisme

On comprend pourquoi, pour quelqu’un qui a été soumis à une telle éducation religieuse, l’athéisme semblait si séduisant. Bertrand Russell offrait une échappatoire simple et sans frais à une vie insupportable de renoncement à soi et de harcèlement des autres. Pour lui, il n’y avait aucune raison crédible de croire en l’existence de Dieu. La religion, selon Russell, est enracinée dans la peur : « La peur est à la base de tout – la peur de l’inconnu, la peur de la défaite, la peur de la mort ».

Devenue athée, je pensais être libérée de cette peur. J’avais également accès à un tout nouveau cercle d’amis, aussi différents des prédicateurs des Frères musulmans qu’on puisse imaginer. Plus je passais de temps avec eux – des gens comme Christopher Hitchens et Richard Dawkins – plus j’étais convaincue d’avoir fait le bon choix. Car les athées brillaient d’intelligence et leur compagnie était très plaisante.

 

 

Pourquoi suis-je devenue chrétienne?

 L’état du monde

Une partie de la réponse a trait à l’état du monde. Trois forces différentes mais liées menacent actuellement la civilisation occidentale : la résurgence de l’autoritarisme et de l’expansionnisme des grandes puissances sous la forme du parti communiste chinois et de la Russie de Vladimir Poutine ; la montée de l’islamisme mondial, qui menace de mobiliser une vaste population contre l’Occident ; et la propagation virale de l’idéologie « woke », qui ronge la fibre morale de la prochaine génération.

Nous nous efforçons de repousser ces menaces à l’aide d’outils modernes et séculiers : efforts militaires, économiques, diplomatiques et technologiques pour vaincre, soudoyer, persuader, apaiser ou surveiller. Et pourtant, à chaque cycle de conflit, nous perdons du terrain. Soit nous manquons d’argent, avec une dette nationale de plusieurs dizaines de milliards de dollars, soit nous perdons notre avance dans la course technologique avec la Chine.

Mais nous ne pouvons pas lutter contre ces forces redoutables si nous ne répondons pas à la question : qu’est-ce qui nous unit ? La réponse « Dieu est mort » semble insuffisante. Il en va de même pour la tentative de trouver du réconfort dans « l’ordre international libéral fondé sur des règles ». La seule réponse crédible, je crois, réside dans notre désir de maintenir l’héritage de la tradition judéo-chrétienne.

Cet héritage consiste en un ensemble complexe d’idées et d’institutions destinées à protéger la vie, la liberté et la dignité humaines – de l’État-nation et de l’État de droit aux institutions de la science, de la santé et de connaissance. Comme Tom Holland l’a montré dans son remarquable livre Les Chrétiens ; comment ils ont changé le monde, toutes sortes de libertés apparemment séculières – du marché, de la conscience et de la presse –trouvent leur origine dans le christianisme.

Je me suis ainsi rendu compte que Russell et mes amis athées n’ont vu que l’arbre qui leur cachait la forêt. L’arbre, c’est la civilisation édifiée sur la tradition judéo-chrétienne ; c’est l’histoire de l’Occident, avec toutes ses imperfections. La critique de Russell sur les incohérences de la chrétienté est sérieuse, mais elle est trop courte.

Par exemple, il a donné sa conférence dans une salle remplie d’anciens chrétiens (ou du moins de chrétiens qui doutaient) dans un pays chrétien. Songez à ce qu’une telle situation avait de remarquable il y a près d’un siècle, et combien elle est encore rare dans les civilisations non occidentales aujourd’hui. Un philosophe musulman pourrait-il donner dans un pays musulman – hier ou aujourd’hui – une conférence intitulée « Pourquoi je ne suis pas musulman » ? Un livre portant ce titre, écrit par un ex-musulman, existe bel et bien. Mais son auteur l’a publié en Amérique sous le pseudonyme d’Ibn Warraq. Il aurait été trop dangereux de procéder autrement.

Pour moi, cette liberté de conscience et d’expression est peut-être le plus grand bien de la civilisation occidentale. Elle ne vient pas naturellement à l’homme. Elle est le fruit de siècles de débats au sein des communautés juives et chrétiennes. Ce sont ces débats qui ont permis de faire progresser la science et la raison, de réduire la cruauté, de supprimer les superstitions et de mettre en place des institutions pour ordonner et protéger la vie, tout en garantissant la liberté au plus grand nombre. Contrairement à l’islam, le christianisme a dépassé son stade dogmatique. Il est apparu de plus en plus clairement que l’enseignement du Christ n’impliquait pas seulement un rôle défini pour la religion, distinct de la politique. Il impliquait aussi compassion pour le pécheur et humilité pour le croyant.

Mon état personnel

Pourtant, je ne serais pas honnête si j’attribuais mon adhésion au christianisme seulement au fait de prendre conscience que l’athéisme est une doctrine trop faible et trop clivante pour nous permettre de résister aux ennemis qui nous menacent. Je me suis tourné vers le christianisme parce que j’ai fini par trouver qu’une vie sans aucun réconfort spirituel était insupportable et autodestructrice. L’athéisme ne répond pas à une interrogation simple : quels sont le sens et le but de la vie ?

Russell et d’autres athées militants pensaient qu’en rejetant Dieu, nous entrerions dans une ère de raison et d’humanisme intelligent. Mais l’« l’absence de Dieu » – le vide laissé par le retrait de l’Église – a simplement été comblé par un fatras de dogmes quasi-religieux irrationnels. Il en résulte un monde où les cultes modernes s’attaquent aux masses disloquées, leur offrant de fausses raisons d’être et d’agir – le plus souvent en les entraînant dans une mise en scène de prétendues vertus au nom de minorités victimisées ou de notre planète prétendument condamnée. La phrase souvent attribuée à G.K. Chesterton s’est transformée en prophétie : « Lorsque les hommes choisissent de ne pas croire en Dieu, ils ne croient pas en rien, ils deviennent capables de croire en n’importe quoi ».

Dans ce vide nihiliste, le défi qui nous devons relever est civilisationnel. Nous ne pouvons pas résister à la Chine, à la Russie et à l’Iran si nous ne pouvons pas expliquer à nos populations pourquoi il est important de le faire. Nous ne pouvons pas lutter contre l’idéologie « woke » si nous ne pouvons pas défendre la civilisation qu’elle est déterminée à détruire. Et nous ne pouvons pas contrer l’islamisme avec des outils purement séculiers. Pour gagner les cœurs et les esprits des musulmans ici en Occident, nous devons leur offrir autre chose que des vidéos sur TikTok.

Ce que j’ai retenu de mes années avec les Frères musulmans, c’est le pouvoir unificateur d’une histoire commune, ancrée dans les textes fondateurs de l’Islam, pour attirer, engager et mobiliser les masses musulmanes. Si nous ne proposons pas quelque chose d’aussi significatif, je crains que l’érosion de notre civilisation ne se poursuive. Heureusement, il n’est pas nécessaire de chercher une concoction New Age pour atteindre la pleine conscience. Le christianisme a tout ce qu’il faut.

C’est pourquoi je ne me considère plus comme une apostate musulmane, mais comme une athée déchue. Bien sûr, j’ai encore beaucoup à apprendre sur le christianisme. J’en découvre un peu plus à l’église chaque dimanche. Mais j’ai reconnu, au cours de mon long voyage dans le désert de la peur et du doute, qu’il existe une meilleure façon d’affronter les défis de l’existence que ce que l’islam ou l’incrédulité avaient à offrir.

 

Source:

Why I am now a Christian

Article traduit et publié avec l’autorisation d’UnHerd

 

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