Les mariages interreligieux en islam ne sont pas rares. Mais qu’en dit la loi islamique? Que permet la charia et qu’interdit-elle? Rafiq Youssef, juriste égyptien, répond à nos questions.
Est-ce que les lois concernant le mariage islamique permettent à un Juif ou un chrétien d’épouser une femme musulmane ?
C’est une question qu’on me pose souvent. Non, la charia interdit de tels mariages.
Pour quelles raisons?
Le Coran l’explique dans la Sourate 2.221:
‘Tu n’épouseras pas une femme païenne, sauf si elle se convertit. Une jeune esclave croyante vaut mieux qu’une idolâtre même si cette dernière te plaît. De même, ne vous mariez pas avec des idolâtres, sauf s’ils se convertissent. Un esclave croyant vaut mieux qu’un idolâtre même si ce dernier te plaît. Les idolâtres t’attirent vers le feu ; mais Dieu t’appelle, par sa volonté, au paradis et au pardon. Ses révélations à l’homme sont claires afin qu’il en tienne compte’
L’interprétation habituelle de ce commandement est qu’un musulman ne peut épouser une femme qui n’est pas musulmane. Il peut néanmoins prendre une femme parmi les « gens du Livre »1. C’est ainsi que le Coran nomme les Juifs et Chrétiens qui, eux aussi, ont reçu les Écritures Saintes de Dieu.
‘Toutes les choses saines vous sont permises aujourd’hui. Vous est permise la nourriture des gens du Livre, et votre propre nourriture leur est permise. Vous sont permises les femmes vertueuses d’entre les croyantes et les femmes vertueuses d’entre les gens qui ont reçu le Livre avant vous, si vous leur donnez leur mahr (arabe : مهر), et vivez honorablement avec elles, sans forniquer ni les prendre comme maîtresses. Celui qui renie la foi ne percevra pas le salaire de son travail. Dans le monde à venir, il fera sûrement partie des perdus.’
Sourate 5:5 La table servie
Cette prescription s’oppose au principe d’égalité. Mais le musulman doit y obéir parce qu’elle est pour lui la parole de Dieu.
Voir Hadiths sur le mariage et Mariage de filles mineures en Islam
Comment mettre en pratique cette prescription ? Faut-il que les gens se convertissent à l’Islam ?
Le but de ce commandement, c’est l’accroissement de la communauté des musulmans. Les enfants d’un mariage islamique/chrétien sont automatiquement considérés comme musulmans. Si une femme chrétienne épouse un musulman, elle peut conserver sa foi. Elle devra cependant vivre en respectant les principes de la Charia islamique. Elle évoluera dans un univers où son mari et sa parentèle (parents, frères et sœurs de son mari) la pousseront à se convertir à l’Islam. C’est ainsi que beaucoup de femmes se convertissent à l’Islam. Sinon, en cas de divorce ou de mort de leur mari, elles pourraient perdre leurs droits à l’héritage ou celui de voir leurs enfants.
Il y a cependant des fatwas (décrets législatifs) qui interdisent le mariage avec une femme chrétienne vivant en Occident. Là-bas, l’atmosphère générale n’est pas propice au développement du caractère musulmans des enfants.
Comment les théologiens musulmans justifient-ils la loi qui interdit à un Juif ou un chrétien d’épouser une femme musulmane ?
Dans la fatwa2 138, l’université al-Azhar du Caire, justifie cette prescription par le fait que la compassion, l’affection et l’harmonie des émotions constituent le fondement du mariage islamique. Cette harmonie ne peut se réaliser que si le mari est musulman. De plus, l’Islam « honore » les autres religions monothéistes et ordonne à ses membres de croire dans tous les prophètes. Par conséquent un musulman ne peut empêcher sa femme de fréquenter une église ou une synagogue. Ce respect de la religion de l’épouse assure le bien-être de la famille que l’Islam s’attache à favoriser.
Quand un mari musulman permet à sa femme de pratiquer sa religion, il assure le bien-être de la famille. Cependant, si un non-musulman épouse une femme musulmane, il ne peut respecter la religion de son épouse. Un musulman respecte les anciennes religions révélées et croit dans tous les prophètes. Mais un non-musulman ne croit pas que Dieu ait envoyé le prophète Mohammed. Il n’a pas de respect pour l’Islam. Il aura tendance à prêter l’oreille aux « rumeurs » et aux « mensonges » dirigés contre l’Islam et ses prophètes. Et même s’il affirme le contraire en présence de sa femme, elle aura toujours le sentiment qu’il méprise sa religion. Alors, le respect mutuel entre un mari et sa femme, fondement essentiel de chaque mariage, manquerait. Cela conduirait au divorce ou à des tensions dans le mariage3.
Vous avez mentionné un théologien qui a prononcé une ‘fatwa’ – qu’est-ce qu’une ‘fatwa’ et qui peut en prononcer ?
Une fatwa est un jugement concernant un point de loi. Seul un mufti a la compétence d’en délivrer. La charia est toute entière considérée comme la loi d’Allah. Elle s’applique à tous les domaines de la vie, privée ou publique. Les musulmans pieux la considère comme de la plus haute importance pour leur vie quotidienne. Les bases de la charia ont été posées au temps de Mohammed. Des décrets du Coran et des jugements issus de textes de la tradition islamique4 la composent.
Les quatre écoles de droit reconnues (en arabe : madhahib) les ont regroupés en manuels. Ces textes possèdent un caractère d’obligation pour tous les croyants. Dans les livres de la loi de son école de droit, un musulman trouve des instructions détaillées sur presque tous les domaines de la vie. Ces différentes règles lui dictent ses devoirs religieux: que manger, comment s’habiller et traiter sa famille, etc. Le rôle du mufti est de conseiller sur la façon d’appliquer la loi dans des cas particuliers. Il interprète la loi selon les termes le recueil législatif de sa propre école de droit.
L’autorité d’un mufti dépend de sa connaissance de la loi et de la théologie islamique. Elle dépend aussi, de son honnêteté personnelle et de sa capacité à tirer ses propres conclusions. C’est à ces conditions qu’il sera apte à résoudre les conflits ou les problèmes qu’on lui soumet. Femmes et hommes peuvent devenir muftis, de même que des personnes handicapées (aveugles ou muettes). Par contre, dans de nombreux pays musulmans, on réserve la charge de juge aux hommes.
Quelles est l’importance d’une ‘fatwa’ ? Existe-t-il des différences entre les Sunnites et les Chiites ?
Une fatwa est un avis juridique que prononce un mufti en réponse à une question précise. Il y a d’énormes différences en termes d’engagement et d’obligation entre les différents types de fatwas. Un décret législatif édicté par une autorité chiite est très contraignant et le demandeur doit y obéir. S’il cherche un avis plus poussé, il doit s’adresser au même mufti. Dans l’Islam sunnite, une fatwa n’a pas de caractère obligatoire. La personne qui l’a sollicitée n’a pas l’obligation de s’y conformer. Si elle est insatisfaite, elle peut s’adresser à une autre autorité pour avoir une seconde opinion. Ou elle est libre d’ignorer la fatwa. Il faut néanmoins rappeler que les déclarations législatives issues du Collège des Fatwas de l’université Al-Azhar5 ont un grand poids dans le monde islamique. Il en va de même pour les fatwas d’Arabie Saoudite.
Comment les autorités musulmanes d’Égypte voient-elles le mariage entre chrétiens et musulmans ?
La loi égyptienne interdit aux Musulmans d’épouser des femmes ‘idolâtres'(c-à-d hindous ou bouddhistes). La même interdiction vaut pour les ‘magiciennes’, les ‘adoratrices du soleil’ (zoroastriennes) et les adeptes de sectes fondées sur l’astrologie. Cette loi concerne toute femme qui ne fonde pas sa foi sur un livre saint ou n’appartient pas aux « gens du Livre ». Un Egyptien peut donc épouser une femme juive ou chrétienne, qu’elle soit étrangère ou pas, qu’elle vive ou pas dans un pays musulman.
Pourquoi la situation en Turquie diffère-t-elle de celle qui prévaut en Égypte ? Pourquoi des femmes turques épousent-elles parfois des non-musulmans ?
En Égypte, (de même que dans la plupart des autres pays arabes) l’Islam est religion d’État. Cela signifie que les lois nationales doivent s’harmoniser avec la charia. Les modifications de la Constitution de 1980 ont encore renforcé le lien entre loi nationale et charia. Désormais, la charia n’est plus seulement une des sources de la loi nationale. Elle en est la source principale. Ces changements touchent beaucoup de domaines de la vie, en particulier, celui de la famille et de l’héritage.
Le système législatif turc, lui, a connu une genèse à peine croyable. La charia n’inspire pas la loi nationale. Lorsqu’en 1923-1924, Kemal Atatürk a créé la République turque, il a délibérément évité le terme ‘Islamique’. Il a introduit d’importants changements dans la loi de la famille et a pris comme modèle la loi civile suisse. C’est pourquoi la Loi de la famille en Turquie diffère de façon considérable de celle des autres pays musulmans. Par exemple, elle interdit la polygamie.
Voir aussi: Tunisie : les musulmanes peuvent désormais se marier avec des non-musulmans
Notes
- 1Les « gens du Livres » sont les Juifs et les chrétiens.
- 2Une fatwa est un avis juridique fondé sur la loi islamique.
- 3Dans cette fatwa, le mot « respect » est utilisé dans deux sens différents. L’Islam « respecte » la foi chrétienne, au sens où il croit que Dieu a, dans le passé envoyé des révélations aux chrétiens. Selon la théologie musulmane, les chrétiens, ainsi que les Juifs, ont alors falsifié ces révélations et les ont transformées en idolâtrie et incrédulité. La foi chrétienne est ainsi considérée par le Coran et la théologie musulmane comme falsifiée et déformée. D’une façon générale, les chrétiens sont condamnés à l’enfer s’ils n’abandonnent pas leur croyance en la Trinité et dans la divinité de Jésus-Christ. Cette attitude n’exprime pas l’idée d’un « respect » qui viendrait de la reconnaissance de la foi, mais véhicule plutôt une idée méprisante ou au mieux tolérante du christianisme. Il est possible pour un mari chrétien de respecter la foi islamique de sa femme, même s’il ne la partage pas lui-même. Dans ce sens, l’auteur de la fatwa met « ne pas partager » la foi islamique au même niveau que « ne pas respecter ». Dans ce sens, un musulman ne « respecte » pas la foi chrétienne, car il ne la partage pas et ses Saintes Écritures, c’est à dire le Coran, la rejette clairement comme erronée.
- 4L’expression « tradition islamique » correspond au mot arabe ‘Sunna’, c’est à dire tout ce que Mohammed a affirmé, dit ou fait.
- 5L’université al-Azhar (en arabe : الأزهر), souvent appelée par métonymie al-Azhar, est une institution islamique sunnite d’enseignement, connue internationalement et basée au Caire. Elle dépend de l’État égyptien et comprend, entre autres, l’université al-Azhar (جامعة الأزهر), l’Académie d’études islamiques et la mosquée Al-Azhar, dirigée par un érudit islamique, le cheikh al-Azhar. L’enseignement a commencé à al-Azhar en 988, ce qui en fait l’un des plus anciens lieux d’enseignement islamiques au monde. Source Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Universit%C3%A9_al-Azhar