De quand datent les hadiths et la jurisprudence musulmane? Certains affirment que les hadiths, c’est-à-dire les paroles et actes du Prophète Mahomet, ont été rédigés plusieurs siècles après sa mort, mettant ainsi en doute leur authenticité et leur valeur.
Cet article veut au contraire montrer que trois groupes de personnes ont participé à leur rédaction :
- les proches de Mahomet,
- les sept grands juristes vivant à l’époque des quatre Califes « bien guidés » et
- les quatre juristes à l’origine des quatre écoles juridiques qui fondent le Droit musulman.
1. Les proches de Mahomet
La collecte des hadiths de Mahomet s’est faite à Médine, auprès de personnes qui l’avaient connu et côtoyé (voir tableau ci-dessous). A cette époque, ces personnes étaient jeunes et ont vécu, pour certaines, jusqu’à la fin du 1er siècle de l’Hégire1 Elles ont donc été de précieux témoins pour les savants musulmans.
Nom | Statut | Mort Hégire/après J.-C. |
Aïcha | Epouse de Mahomet | 55/677 |
Abdallâh ibn Abbas | Neveu de Mahomet | 65/687 |
Abdallâh | Fils du Calife Omar | 70/692 |
Jâbir ibn Abdallâh | Compagnon de Mahomet | 75/697 |
Anas ibn Malik | Compagnon de Mahomet | 90/711 |
Aboû Saïd al Khudri | Compagnon de Mahomet | 71/693 |
Voir aussi Les sources de l’islam
2. Les sept grands juristes de Médine (Fuqahâs)
Les sept grands juristes de Médine (voir tableau ci-dessous) vivaient à la même époque que les quatre califes « bien guidés » et c’est à partir d’eux que la science et les décisions juridiques se répandirent à travers le monde musulman. Ils furent appelés les » sept juristes » car ils reçurent leur habilitation à délivrer des fatwas (décisions juridiques) des compagnons du Prophète. C’est ainsi qu’ils furent publiquement reconnus comme jurisconsultes.
Nom | Statut | Mort Hégire/après J.-C. |
Sa’îd Ibn Al Musayyib | 20-93/642- 715 | |
‘Urwah Ibn Az Zubayr Ibn Al ‘Awwâm | Neveu d’Aïcha, épouse de Mahomet, et petit-fils d’Abu Bakr, premier calife | 22-91/644- 713 |
Abû Bakr Ibn ‘Abd Ir Rahmân Ibn Al Hârith | 38-94 | |
Al Qâsim Ibn Muhammad Ibn Abî Bakr | Petit-fils du premier calife Abu Bakr | |
Sulaymân Ibn Yasâr | 37-107 | |
Khârijah Ibn Zayd ibn Thâbit | 60-99 | |
Salîm Ibn ‘Abdi Llâh Ibn ‘Umar | Petit-fils du calife Omar et neveu Hafsa, épouse de Mahomet | -728 |
Ils contribuèrent également à poser les bases théologiques de ce qui deviendra l’école de jurisprudence malikite, fondée par l’imâm Mâlik Ibn Anas. Ces sept juristes furent à l’origine du droit médinois, élaboré à partir de trois sources :
- les préceptes du Coran,
- l’application par Mahomet des préceptes du Coran et
- les décisions juridiques (fatwas) des compagnons du Prophète.2
Pour les cas qui sortaient de ce cadre juridique, ils ont pratiqué l’ijtihâd3 dans les limites déjà fixées par le Coran et la Sunna de Mahomet.
Cet Ijtihad devait aboutir à un décret de jurisprudence qui ne soit pas en contradiction avec les cas déjà traités par le Coran, la Sunna et le consensus des compagnons de Mahomet.
Ces juristes ne se limitaient pas toujours à la simple transmission. Ils commentaient également la jurisprudence des salafs (Mahomet et ses compagnons). Lorsqu’ils ne trouvaient pas un récit du Prophète ou des compagnons, ils donnaient leur opinion, formée à partir de ce qui était connu des jugements du Prophète.
3. Les quatre écoles juridiques
Les musulmans qui ont écrit les textes fondamentaux de l’islam sont nés au premier siècle de l’islam. Ils vivaient à Médine et étaient familiers avec la ville où le Prophète s’était établi. Leurs professeurs avaient connu les compagnons de Mahomet, dans le cadre de leur travail de collecte des hadiths.
Parmi les plus importants, on trouve les imams Abu Hanifa, Malik Ibn Anas, Ash-Shafi’i et Ahmed Ibn Hanbale. Dès la fin du premier siècle de l’Hégire, et au cours du second, ces théologiens jurisconsultes fixèrent officiellement les quatre écoles juridiques qui ont constitué le Droit musulman jusqu’à nos jours. Conformément aux fondements de l’islam, ces imams se sont basés sur les préceptes du Coran et de la Sunna de Mahomet. Ils furent parmi les premiers à rassembler les recueils de hadiths, sources principales des Paroles de Mahomet.
Abu Hanifa, né en l’an 76 de l’Hégire, fut imam et grand juriste. Lui aussi a grandi avec les enfants des compagnons de Mahomet. Il est un des grands juristes musulmans, fondateur de l’école hanifite. Son immense travail sur la jurisprudence n’aurait pas été possible sans la connaissance approfondie des actes et des paroles de Mahomet, connaissance acquise à Médine. Là, il a bénéficié d’un enseignement donné par les compagnons de Mahomet. Les hadiths qu’il a recueillis furent compilés par ses deux élèves, Abou Youssouf et Mouhammad Al-Shaybân, dans le Kitab-al-Aathar
L’Imam Malik Ibn Ana, né à Médine en 90 de l’Hégire fonda l’école malikite. Ses parents et ses enseignants avaient connu les compagnons de Mahomet tandis qu’il a lui-même connu leurs enfants.
Il est l’auteur du recueil de hadiths « Al Muwatta », référence capitale sur les dires et les actes de Mahomet.
Malik, son professeur Nafi’, compagnon de Mahomet et ‘Abdullâh Ibn ‘Umar furent les trois rapporteurs exceptionnels constituant la » chaîne d’or » (silsilat adh dhahâbiyyah). Dans son œuvre majeure, le grand juriste musulman Averroès se réfère à l’imam Malik quand il cite les hadiths de Mahomet.
Ash-Shâfi’î, né en 767 à Gaza et mort en 820 en Égypte, fut juriste et théologien et fonda l’école chaféite. Comme le Prophète Mahomet, il appartenait à la dynastie des hachémites de la tribu des Quraych. Dans sa jeunesse, il se rendit à Médine pour étudier la jurisprudence islamique et les hadiths sous la direction de l’imam Malik. Il mémorisa le recueil de hadiths Al-Muwatta et pouvait le réciter au mot près. Il séjourna dans la ville jusqu’à la mort de l’imam Malik en 801.
Aḥmad Ibn Hanbale, théologien, créa l’école de jurisprudence (madhhab) hanbalite – la quatrième école de jurisprudence de l’islam sunnite. Ibn Hanbale naquit en novembre 780 (158 H) à Bagdad où il mouru en 855 (233 H). Il fut l’un des partisans les plus résolus de l’utilisation des sources scripturaires (Coran et Sunna de Mahomet) comme fondement de la loi et du mode de vie islamique. Il est l’auteur d’un des plus importants recueils de hadiths, le Mousnad d’Ahmad, qui a exercé une influence considérable sur l’étude du hadîth, jusqu’à nos jours.
Conclusion
La collecte des hadiths de Mahomet fut un long processus qui débuta dès le premier siècle de l’islam, du vivant des quatre califes « bien guidés », Abu Bakr, Omar, Uthmane et Ali. Ces hadiths constituent, avec les actes de Mahomet, la Sunna du Prophète de l’islam.
Ils ont été rassemblés en recueils dès la première moitié du deuxième siècle de l’Hégire. Ils jouèrent un rôle fondamental dans la constitution des quatre écoles de jurisprudence : Hanafite, Malikite, Hanbalite et Chafi’ite. Jusqu’à nos jours, ces quatre écoles constituent le fondement du Droit musulman.
On parle souvent des recueils de Bukhari et Muslim comme les plus réputés, mais ils datent du troisième siècle de l’Hégire et ne font que reprendre les hadiths ayant servi de fondements aux quatre écoles de jurisprudence.
Notes
- 1L’Hégire désigne le départ de Mahomet à Médine en 622 après J.-C. Pour marquer l’importance de cet événement, le calendrier musulman commence le premier jour de l’année lunaire de l’Hégire, soit le 16 juillet 622. Dans notre texte, la lettre « H » qui suit le nombre d’années fait référence à ce calendrier.
- 2Les compagnons de Mahomet, qui étaient jeunes au moment de sa mort, vécurent jusqu’à la fin du VIIème siècle. Cette génération assura un lien continu entre le Prophète et les premiers jurisconsultes musulmans, à la fois pour les recueils de hadiths et les règles de jurisprudence.
- 3L’Ijtihad, ou effort de compréhension, devait se baser sur le raisonnement par analogie (qiyas), et non sur le raisonnement personnel basé sur la déduction logique et rationnelle. Cette méthode était prohibée parce qu’elle menait souvent à l’hérésie. Le qiyas consistait à rechercher dans le Coran, la Sunna de Mahomet et les décisions prises par ses compagnons, le cas le plus proche de celui qu’on voulait traiter pour lui appliquer une décision juridique semblable.