Peut-on critiquer l’islam sans être islamophobe ? L’article de Camille Krafft, paru dans le journal 24H du 7 octobre dernier, incite à en douter et suggère que ceux qui le font pourraient menacer la paix sociale.
L’islamophobie définie
L’islamophobie ne comprend pas la critique rationnelle de l’islam. Cependant, il est islamophobe de critique l’islam dans le seul but de préconiser des mesures sociales et politiques discriminatoires et violant les droits des musulmans.
La « Bridge Initiative »1 (Université de Georgetown, USA) propose cette définition de l’islamophobie en commençant par préciser que la critique rationnelle de l’Islam n’en fait pas partie. Elle admet donc qu’il est possible d’invoquer des motifs raisonnables de désaccords avec l’islam. Mais cette éventualité admise, elle réduit immédiatement le champ de la critique en spécifiant qu’elle ne doit pas préconiser des mesures sociales et politiques discriminatoires et violant les droits des musulmans.
Quels sont les droits des musulmans ?
La deuxième partie de cette définition pose donc la question des droits des musulmans. Quels sont-ils ? Le droit de commercialiser la viande halal et d’exiger qu’elle soit servie dans les cantines ? Le droit d’avoir des heures de piscine exclusivement réservées aux femmes musulmanes ? Le droit d’avoir des « carrés musulmans » dans les cimetières ? Le droit de porter le voile à l’école et dans les administrations de l’État ? Le droit d’avoir des salles de prières à l’université et dans les entreprises ? Le droit d’interdire à une femme musulmane d’épouser un non-musulman ? Le droit d’enseigner dans les écoles coraniques les passages du Coran qui désignent les Juifs comme des singes et des porcs ? Le droit d’interdire aux musulmans de quitter l’islam et le droit de prononcer des fatwas condamnant à mort les apostats ?
La limite des droits des musulmans
D’un point de vue de la critique rationnelle, certains des « droits » de cette liste peuvent faire l’objet de négociations. Par contre, d’autres, comme les quatre derniers, violent des valeurs fondamentales des pays démocratiques. L’affirmer clairement revient-il à préconiser des mesures sociales et politiques discriminatoires et violant les droits des musulmans ? Selon la logique de cette définition, sans aucun doute. Mais selon la définition des droits des individus telle que la définit la Charte des droits humains, absolument pas.
Les limites de la liberté religieuse
Les personnes engagées en politique, les journalistes comme l’ensemble des citoyens doivent être conscients du fait que l’islam propose, quelles que soient les écoles de jurisprudence, un système de
valeurs qui, sur des points précis, entre en conflit avec le nôtre. Et cela génère des problèmes qu’on ne
peut pas régler en cédant aux exigences de ceux qui considèrent que ces « droits » relèvent de leur liberté religieuse.
Dans son article, C. Krafft semble ne pas avoir pris en compte le fait qu’on puisse engager une critique
rationnelle de l’islam, sans pour autant cultiver d’animosité envers les musulmans.
Voir l’article : Comment des Evangéliques luttent contre la demande de reconnaissance des musulmans
Tout au long de son article, elle présente les membres de l’IQRI comme des personnes hostiles aux musulmans et à l’UVAM et non comme des connaisseurs de l’islam. Ainsi, les évangéliques, parmi lesquels l’IQRI, « s’activent » contre l’UVAM ; un réseau (comprenant l’IQRI) cherche à « torpiller » sa demande de reconnaissance.
Le fait qu’Olivier Wäckerlig qualifie d’islamophobes certaines « entités » de la « nébuleuse » qui contestent le bien-fondé de la démarche de l’UVAM, conduit le lecteur à voir en l’IQRI un groupe islamophobe. C. Krafft renforce cette impression lorsqu’elle indique que Bat Ye’Or et Robert
Spencer « sont mis en référence sur le site de l’IQRI », deux auteurs qui, selon M. Wäckerlig, « sont mentionnés à plusieurs reprises dans le manifeste du terroriste norvégien Anders Breivik ». Chaque lecteur peut ainsi conclure que si les membres de l’IQRI ne sont pas eux-mêmes des terroristes, ils pourraient inspirer des extrémistes tels que Breivik.
Au passage, il faut savoir que M. Wäckerlig fait office de sentinelle. Il collecte en Suisse des informations sur les personnes qu’il qualifie d’« islamophobes » pour le compte de Farid Hafez. Or, Hafez, est l’auteur d’un Rapport annuel sur l’islamophobie en Europe financé par le gouvernement turc.
Voir: ISLAMOPHOBIA IN SWITZERLAND NATIONAL REPORT 2019
Voir aussi : ISLAMOPHOBIA IN EUROPE REPORT 2019
Une bibliographie confirmant l’orientation islamophobe de l’IQRI
Si C. Krafft avait pris la peine de consulter la bibliographie du site de l’IQRI, elle aurait noté que nous avons mentionné le livre de Bat Ye’Or, Les chrétientés d’Orient entre jihad et dhimmitude, VIIe au XXe siècle. Quant à Robert Spencer, nous avons donné le lien de son site sous la rubrique « Liens » renvoyant à des sites internet regroupés sous trois catégories : Présentation positive (de l’islam), Présentation critique et Présentation académique. Dans cette même bibliographie, elle aurait remarqué que nous avons listé des auteurs tels que Saïd Ramadan ainsi que Hani et Tariq Ramadan. On peut supposer qu’elle n’aurait pas vu dans la mention de ces auteurs le signe de notre soutien aux Frères Musulmans.
L’IQRI, une menace pour la paix sociale
C. Krafft écrit encore que « l’activisme de l’IQRI » constitue une menace pour la paix sociale au point d’en être devenu une préoccupation pour l’État de Vaud. Une nouvelle affirmation à charge qui confirme sa méprise sur notre démarche. L’insistance de l’IQRI tient ici au refus qu’opposent les responsables musulmans, et d’autres milieux, à toutes discussions sur les aspects de la jurisprudence islamique que nous soumettons à une critique rationnelle. Si l’UVAM aspire à obtenir la reconnaissance d’intérêt public, il serait normal que ses membres prouvent qu’ils méritent la confiance qu’ils nous demandent de leur accorder. Ils feraient un grand pas dans cette direction en acceptant de dénoncer les aspects de la jurisprudence islamique incompatibles avec les lois fondamentales du pays. Mais au lieu de reconnaître que l’IQRI cherche à attirer l’attention sur de nombreux points de conflits souvent occultés, cette journaliste suggère que nos motivations sont islamophobes.
Notes
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1The Bridge Initiative est un projet de recherche pluriannuel sur l’islamophobie hébergée par l’université de Georgetown. L’initiative Bridge vise à diffuser des recherches originales et accessibles, à offrir des analyses et des commentaires intéressants sur des questions contemporaines et à héberger un vaste répertoire de ressources éducatives pour informer le grand public sur l’islamophobie. Farid Hafez y est professeur associé.
https://bridge.georgetown.edu/about-us/