Maintenir une vision lucide de l’islam, tel est le but des contributeurs de Between Naivety and Hostility. Conscients des tensions que suscite l’islam en Grande-Bretagne, leurs observations s’appliquent utilement à d’autres contextes européens.
A ce propos, ils rappellent que, bien que la Grande-Bretagne ne doit pas être considérée comme une nation chrétienne, toutes ses institutions, ses lois et ses valeurs fondamentales sont substantiellement redevables à l’héritage judéo-chrétien qui soutient l’idée de dignité humaine, d’égalité et de liberté. Il ne faut donc ni diaboliser l’islam, au risque de ne plus pouvoir entrer en relation avec les musulmans, ni en ignorer les aspects dangereux, au risque de brader les valeurs judéo-chrétiennes qui fondent nos sociétés ouvertes
Thèmes abordés
Première partie
Dans la première partie du livre, Assumptions and Starting Points, les auteurs abordent quelques points d’intérêt général. Steve Bell insiste en particulier sur la dimension de la grâce dans nos rapports avec les musulmans, grâce qui doit nous libérer de ce qu’il appelle nos «métaphores conceptuelles». Par exemple: islam = répression, violence, haine, méfiance, tromperie, etc…
Les quatre autres chapitres soulignent les points suivants: importance de penser l’islam bibliquement afin d’y répondre dans une perspective biblique; manière dont Mohamed et Jésus ont approché la question du pouvoir politique, le premier recherchant ce pouvoir, le second y renonçant; éventail des réponses évangéliques à l’islam (des plus critiques au plus généreuses); diversité, au fil de l’Histoire, des réactions des chrétiens à la présence islamique.
L’auteur de ce chapitre souligne que nous devons prendre garde à la manière dont nous jugeons d’autres chrétiens sur leur façon, trop dure ou conciliante à nos yeux, de traiter les musulmans.
Deuxième partie
Dans la seconde partie, Crucial Issues in Britain Today, les différents contributeurs s’intéressent très spécifiquement aux problèmes liés à la présence d’importantes communautés musulmanes en Grande-Bretagne (Pakistanais, Bangladeshis et Indiens). On y trouve des chapitres tels que: Making Sense of Muslim Communities in Britain ou Conversion from Islam to Christianity in Britain.
Au chapitre 8, dans Islam, Human Rights and ‘Our Way of Life’, Ziya Meral met en garde contre les lectures simplistes que nous faisons des problèmes impliquant des musulmans. Il recommande de résister à la tentation de présenter les problèmes comme résultant d’une seule cause – l’islam – sans prendre en compte les aspects historiques, sociaux, économiques, culturels qui tous ont une part dans les problèmes que posent les rapports avec les communautés musulmanes installées en Grande-Bretagne.
Cette seconde partie aborde d’autres thématiques significatives telles que la manière de répondre à l’islam radical en Grande-Bretagne, les questions relatives à l’éducation et aux femmes ainsi que les «pour» et les «contre» de l’application de la charia dans ce pays. La question de fond posée par l’auteur de ce dernier chapitre est de savoir si «nous voulons approuver un déplacement de l’autorité au sein des communautés musulmanes des individus vers les leaders religieux et vers les tribunaux islamiques»?
Troisième partie
Après la présentation de ces aspects problématiques, la troisième partie du livre nous propose, sous le titre Models of Positive Relationships, quelques exemples de relations positives. Au chapitre 13, Richard J. Sudworth présente le travail d’une Eglise de Birmingham, située dans un quartier où habitent de nombreuses familles musulmanes. Suite au renouveau spirituel par lequel cette assemblée est passée, une de ses membres a décidé d’accueillir dans sa maison un groupe destiné aux mères de jeunes enfants afin qu’elles puissent se rencontrer et parler de leurs difficultés. Ce groupe s’est si bien développé qu’il a fallu le déplacer dans des locaux plus grands situés dans l’Eglise.
Ce travail a mis en évidence un point crucial: lorsque les chrétiens vivent ouvertement leur foi, et que cette foi englobe tous les aspects de la réalité, ils inspirent confiance aux musulmans qui acceptent de tels services (même situés dans une Eglise). Mais, les responsables de ce ministère ont également compris que leur service devait rester un service et ne pas devenir un prétexte pour annoncer l’Evangile à leurs «audiences captives». La conviction prévalant dans ce travail a été de servir les familles musulmanes, quelle que soit leur réponse à l’Evangile.
Au chapitre 14, l’auteur aborde la question du travail parmi les jeunes, musulmans et chrétiens, tandis qu’il est question, au chapitre suivant de la notion de Taqiyya (dissimulation). A l’origine, cette pratique a été élaborée par les savants chiites pour permettre aux croyants de ce groupe minoritaire d’échapper aux persécutions des sunnites. Pour le grand public, cette notion induit à penser que les musulmans ne peuvent pas être dignes de confiance. Mais de leur côté, les musulmans éprouvent envers les chrétiens une méfiance qui est. à leur sens, parfaitement justifiée. Tony Blair et George W. Bush, deux hommes que le monde musulman considère comme chrétiens, n’ont-ils pas menti à propos des armes de destructions massives stockées en Irak? Dans la suite de ce chapitre, l’auteur aborde la question du mensonge permis en Islam et comment l’Eglise a elle-même réagi vis-à-vis de cette question.
Conclusion
Les trois chapitres concluant le livre donnent des points de vue contrastés sur la manière d’entrer en dialogue avec les musulmans. Jay Smith défend l’approche polémique. Pour lui, c’est une forme d’«amour viril» (tough love), et la seule réponse adéquate au zèle agressif des musulmans radicaux.
A l’inverse, Chawkat Moucarry, se démarque vigoureusement de ce point de vue et prône une approche qui évite d’attaquer publiquement la personne du prophète ou la crédibilité du Coran. Pour lui, s’engager dans un dialogue respectueux avec les musulmans reflète la façon qu’a Dieu de les traiter avec humanité. Quand Jésus adopte un style polémique, c’est uniquement avec les responsables juifs qui rejettent délibérément son message. Ce qui rend le dialogue islamo-chrétien tellement nécessaire, c’est le grand nombre de malentendus qui séparent chrétiens et musulmans. Si chrétiens et musulmans ne peuvent pas se considérer comme frères dans la foi, grâce au dialogue, ils peuvent néanmoins mieux apprécier leur commune humanité. Moucarry conclue donc qu’en tant que chrétiens, nous avons une double obligation envers les musulmans: celle de les aimer et celle de leur annoncer l’Evangile.
Bill Musk, auteur du dernier chapitre, pose une question cruciale: Ne faudrait-il pas promouvoir d’autres voix (celles des musulmans modérés, de ceux qui cherchent à s’intégrer mais qui ne se font guère entendre dans les médias)? Il note que dans le contexte britannique actuel, il y a deux groupes qui rendent les relations entre musulmans et non-musulmans difficiles: les musulmans extrémistes et certains évangéliques dont la théologie tend à se concentrer de façon non critique sur le rôle d’Israël dans le déroulement de la fin des temps. Cette tendance a été beaucoup renforcée par les attentats du 11 septembre 2001 et ceux de Londres en juillet 2005. Face à cela, comment favoriser de bonnes relations avec les musulmans au niveau local, régional et national?
A cette question, Bill Musk répond en soulignant que c’est au niveau local que les actions les plus efficaces peuvent être menées, ce qui suppose que les musulmans soient partie prenante de ces initiatives. Or, c’est actuellement souvent ce qui manque. Ne faudrait-il pas encourager certains de nos amis musulmans à être les premiers à approcher l’Eglise locale ou la synagogue de leur quartier afin de mieux en comprendre la foi?
Sommes-nous capables, demande Musk, de jeter un regard différent sur les musulmans? Avons-nous les relations qui nous permettraient de promouvoir d’autres voix issues des communautés musulmanes de notre pays en sorte que nos concitoyens aient la possibilité d’acquérir une perception différente des musulmans» ?
Faute d’une telle démarche, une majorité de gens risquent de rester prisonniers de leur suspicion et de leur hostilité, deux sentiments qui conduisent régulièrement à la «diabolisation» de l’islam et des musulmans.
Voir: Djihadistes convertis à un islam « modéré »
Voir aussi: Quitter la violence islamique. Retour sur le phénomène de désaffiliation
Intérêt du livre
Bien que les contributeurs de cet ouvrage se concentrent exclusivement sur la situation britannique, leurs réflexions sont néanmoins utiles parce que les pays francophones connaissent des problèmes similaires. Les musulmans vivant en Suisse ou en France, bien qu’essentiellement originaires de Turquie, des Balkans et d’Afrique du Nord, peuvent être tentés par le radicalisme religieux et politique, comme le sont certains musulmans Pakistanais ou Indiens vivant en Grande-Bretagne. D’autre part, la question de la méfiance envers les musulmans et la difficulté pour eux de prendre leur place dans la société occidentale sont aussi des réalités qu’il faut prendre en compte en pays francophones.
Afin de promouvoir une évolution positive de cette cohabitation, il est urgent de développer une pensée biblique de l’islam et de résister à toute vision «essentialiste» en intégrant les facteurs économiques, culturels, politiques et sociologiques dans notre approche des musulmans. Comme le suggèrent plusieurs auteurs de ce livre, il faut également discerner quelle est la forme de dialogue la plus appropriée et soutenir les voix musulmanes modérées susceptibles d’apaiser les relations avec les communautés musulmanes. Un vaste chantier qui appelle chacun à la compréhension et au respect de l’autre!
BETWEEN NAIEVETY AND HOSTILIY / Uncovering the best Christian responses to Islam in Britain
Editors Steve Bell and Colin Chapman