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Quand les mots deviennent des armes

Les islamistes ont fait de certains mots des armes. Le Dictionnaire Larousse vient de leur reconnaître une victoire éclatante. Il définit ainsi le mot islamophobie : hostilité envers l’Islam et les musulmans.

On ne sait pas vraiment qui est l’inventeur du terme. Certains le font remonter à la période de l’administration coloniale qui attendait du colonisateur qu’il traite sans mépris les populations sous tutelle. Le régime de Khomeiny en Iran l’a exhumé pour les besoins de sa propagande. Les Frères Musulmans l’ont employé à leur tour pour lutter contre la laïcité en Egypte, puis ils l’ont mis au service de la conquête mondiale qu’ils préconisent ouvertement. Tarik Ramadan en fut un propagateur zélé.

Un mot piégé

C’est dire combien le mot islamophobie est piégé. Celui qui l’utilise plonge dans une ambiguïté délétère consistant à confondre en permanence doctrine et personnes. Le philosophe Henri Pena Ruiz en a fait l’amère expérience. En revendiquant le droit à l’islamophobie lors d’une conférence publique consacrée à la laïcité, il a déclenché un tollé contre lui qui paraît l’avoir beaucoup ébranlé. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été prudent. Cet intellectuel respecté a usé de moult précautions oratoires. Selon lui être islamophobe c’est rejeter l’Islam comme doctrine théologique. En revanche rejeter des personnes au prétexte qu’elles sont musulmanes, c’est du racisme. 

Peine perdue, le mot lui a sauté au visage précisément parce que, dans la définition qu’en donnent les islamistes désormais consacrée par Larousse, croyance et personnes sont indissolublement agrégées. S’attaquer à l’un c’est s’attaquer à l’autre, qu’on le veuille ou non.

En vérité le mot islamophobie est un mot piégé parce qu’il est une arme forgée par l’adversaire. Il est conçu pour compromettre quiconque le revendique comme un droit alors même qu’il semble découler de la liberté de conscience qui prévaut sous nos latitudes. Il fait automatiquement basculer son utilisateur du terrain de la saine critique du dogme à celui, combien plus trouble, de la détestation des personnes adeptes de ce même dogme.

Un mot à ne pas utiliser

Pour ma part je me suis toujours méfié de ce terme et j’évite de l’utiliser. Je pense qu’il ne faut plus l’employer, il faut le bannir des débats et refuser qu’il nous soit imposé. Il est en quelque sorte radioactif et rien de bon ne peut en sortir.

Il a un autre inconvénient majeur. Il ne rend pas justice à une réalité qu’on ne souligne pas assez, à savoir que les lanceurs d’alerte les plus engagés et les plus exposés contre l’obscurantisme islamiste et ses conséquences sociales et politiques sont souvent issus eux-mêmes de la culture musulmane. De Taslima Nasreen à Zineb el Rhazoui, de Salman Rushdie à Waleed al Hosseini, de Wafa Sultan à Malika Sorel, de Lydia Guirous à Jeannette Bougrab, la liste est longue et soutenue. Significativement, ce sont souvent des femmes. Or par définition ces gens ne peuvent pas être racistes envers leurs semblables issus de la même culture, ce serait le comble de l’absurdité.

Lire: Le frérisme et ses réseaux

Un nouveau mot pour restaurer le débat critique

C’est pourquoi je propose qu’on préfère à islamophobie le néologisme islamo-critique. Critique est un superbe mot philosophique venant des Grecs, « krinô », qui veut dire distinguer, trier, discerner. Il désigne une opération cognitive qui met de l’ordre dans les idées et les éclaircit puisque la plupart du temps nous pataugeons dans la confusion et les approximations. Tous les systèmes de pensée, qu’ils soient religieux, non religieux ou philosophiques sont susceptibles d’être passés au crible de la critique. Et il est parfaitement possible de mener une critique, même radicale, en respectant les personnes. Il est urgent de retrouver l’art perdu de la « disputatio » dans lequel excellait un Raymond Lulle. Cela nous évitera des tensions et des humiliations inutiles. Lorsque Jésus recommande d’aimer son ennemi, il veut dire que l’affrontement ne doit jamais faire oublier que mon ennemi reste un être humain comme moi.

Le fanatisme commence lorsque, au lieu d’échange d’arguments, on s’en prend aux personnes. Et chacun sait que l’esprit critique n’est pas le point fort des fanatiques…

Source: http://vincentschmid.blog.tdg.ch/archive/2019/09/01/les-mots-sont-aussi-des-armes-300590.html

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