Dans un article précédent1, nous avons parlé de l’antisémitisme musulman et en avons situé les racines dans le Coran et les Hadiths. Dans le présent article, nous nous intéresserons à l’antisémitisme « chrétien » et chercherons à comprendre pourquoi, à certains moments de son histoire, l’Église, s’y est livrée.
Pendant longtemps, l’Église a considéré que les Juifs étaient responsables de la mort du Christ et qu’ils devaient être punis. C’est ainsi qu’on les a discriminés, parqués dans des ghettos et même massacrés2. Mais, sur quelle base théologique l’Église a-t-elle agi ? Son action était-elle fondée sur un enseignement particulier de Jésus ? Ou a-t-on tordu et perverti le message de l’Évangile ?
Le Nouveau Testament, texte fondateur de la foi chrétienne, ne fournit aucune justification à l’antisémitisme. Il faut cependant reconnaître que certains textes difficiles ont parfois été mal interprétés. La question est vaste et nécessiterait d’amples développements. Dans la réflexion qui suit, nous nous limiterons à esquisser les principales causes de cet antisémitisme.
Jésus s’est montré sévère envers les chefs religieux
Certains ont considéré que les réactions de Jésus envers les chefs religieux validaient leur antisémitisme. Plus d’une fois, il les a effectivement repris, leur reprochant d’être hypocrites et incrédules. Il les a même blâmés d’avoir pour père le diable3. Ces observations vraies ne doivent cependant pas nous conduire à des conclusions erronées. Si Jésus a si rudement réprimandé ces hommes, ce n’était pas en raison de leur origine juive. C’est parce qu’ils avaient fait de la loi divine une idole. Ce comportement impie déplaisait fortement à Dieu4. En proclamant à leur encontre « Malheur à vous scribes et pharisiens… » (Traduit aussi par « Malheureux êtes-vous… »), Jésus ne dénonçait pas le peuple en général mais tous les religieux orgueilleux et hypocrites qui se posaient en modèle de piété.
Jésus a annoncé la condamnation d’une génération incrédule
Jérusalem qui tue les prophètes5 s’est lamenté Jésus. Le terme « Jérusalem » représente ici les chefs religieux juifs. Non contents de le mépriser et de le rejeter, ils cherchaient à le faire mourir. C’est ce qu’avaient fait leurs prédécesseurs à l’endroit des prophètes qui avaient appelé le peuple à revenir à Dieu de tout son cœur. Mais lors d’un discours à charge, Jésus les a prévenus que Dieu les jugerait, eux et leur génération, en raison de leur rejet de l’Évangile6.
En détruisant Jérusalem en l’an 70 après J.-C., les Romains ont exécuté le jugement que Jésus avait annoncé. Cependant, au cours de la période de quarante ans qui a précédé cette catastrophe, Dieu a abondamment exaucé la prière que Jésus lui avait adressée sur la croix : Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. De nombreux Juifs ont en effet cru en l’Évangile et ont rejoint l’Église naissante. D’autres, par contre, ont persisté dans leur attitude incrédule et hostile. Comme Jésus le leur avait annoncé, le jugement les a atteints. Ils ont péri ou ont été déportés après la prise de Jérusalem. Seul un petit reste demeura en Palestine.
Par rapport au sujet qui nous occupe, il est absolument capital de noter que ce jugement se limitait à une génération particulière : celle qui avait rejeté Jésus. Or, de manière incompréhensible, tout au long de son histoire et jusqu’à récemment, une frange de l’Église s’est crue chargée de châtier les Juifs dans leur ensemble.
Les Juifs sont responsables d’avoir tué le Fils de Dieu
Au cours de son ministère terrestre, Jésus a solennellement averti ses disciples que les Juifs le mettraient à mort. Mais il ne leur a jamais demandé de le défendre. Il savait que sa mort faisait partie du plan de Dieu et il n’a pas cherché à y échapper7. C’était le prix à payer pour lever la condamnation divine qui pesait sur tous les hommes. Or, si ce salut est offert à tous, c’est que les hommes, dans leur condition naturelle, refusent tous d’adorer Dieu. C’est justement ce qui constitue leur état pécheur. Rejeter la responsabilité de sa crucifixion sur le peuple juif, c’est donc oublier que tout homme pécheur est solidaire de ceux qui ont mis Christ à mort.
Dieu a rejeté le peuple juif
Les enseignements, les miracles et l’immense popularité de Jésus ont rempli de jalousie les chefs religieux de son temps. Incrédules, ils ont rejeté le salut que Jésus leur proposait8 et ont ainsi provoqué leur mise à l’écart.
Dans la lettre qu’il adresse aux croyants de Rome, Paul explique ce qui s’est passé9. Prisonniers de leurs traditions religieuses, une majorité d’entre eux ont considéré l’Évangile comme une trahison de la Loi et se sont opposés à sa diffusion dans le monde. En persécutant les disciples de Jésus et en rejetant leur témoignage, ils ont consommé la rupture entre le Temple, symbole du judaïsme, et l’Église.
Certains théologiens en ont déduit, à tort, que Dieu avait rejeté le peuple élu et l’avait remplacé par l’Église. Pourtant, au chapitre XI de sa lettre aux Romains, Paul souligne le caractère temporaire de cette mise à l’écart. Un jour, le peuple juif reconnaîtra Jésus comme son Messie. Il retrouvera alors sa place de frère aîné au sein du peuple de Dieu.
Cette « théologie de la substitution », selon laquelle l’Église a remplacé Israël, affecte bien des assemblées chrétiennes et produit aujourd’hui encore de regrettables formes d’antisémitisme. Le cas des chrétiens prenant le parti du peuple palestinien contre Israël en est une illustration.
Sur l’antisémitisme de l’Eglise, voir Les mythes fondateurs de l’antisémitisme. De l’antiquité à nos jours.
Lire aussi: Où l’antisémitisme musulman prend-il sa source?
Paul exprime son amour pour le peuple juif
Bien que les Juifs l’aient maintes fois persécuté, Paul a toujours refusé d’accuser son peuple10.Dans deux passages de la lettre déjà citée, il exprime son amour pour eux. Dans le premier, il déclare qu’il accepterait volontiers d’être maudit et séparé du Christ si cela pouvait les conduire au salut11.
Dans le second, il énumère les faveurs que Dieu leur a accordées : C’est à eux qu’appartiennent la condition de fils adoptifs de Dieu, la manifestation glorieuse de la présence divine, les alliances, le don de la Loi, le culte et les promesses ; à eux les patriarches ! Et c’est d’eux qu’est issu le Christ dans son humanité ; il est aussi au-dessus de tout, Dieu béni pour toujours12. Aucun autre peuple n’a bénéficié de tels privilèges. Paul met ainsi en évidence la place unique qu’occupent les Juifs dans le cœur de Dieu. Même s’ils lui désobéissent obstinément, il restera fidèle à l’alliance qu’il a passée avec Abraham, leur ancêtre.
Paul annonce la réunion du peuple juif et de l’Église
L’apôtre compare en effet les croyants non-Juifs à des branches sauvages que Dieu a greffées sur l’olivier juif13. Mais il ajoute que si Dieu a retranché certaines branches de cet olivier en raison de leur incrédulité, le jour viendra où il les greffera à nouveau. Il exhorte donc les « branches sauvages greffées sur l’olivier » à ne pas s’enorgueillir et à se souvenir que c’est l’olivier juif qui les porte ! Un jour, Juifs et croyants d’origine non-juive s’assiéront à la même table dans le Royaume de Dieu et célébreront l’unité de leur foi en Jésus. Leur joie remplira le ciel.
Tous les chrétiens ne sont, bien heureusement, pas antisémites. Comme cela devrait être évident maintenant, ni les enseignements de Jésus ni ceux de Paul ne cautionnent les propos ou les actes antisémites. Ceux qui s’en sont servis pour justifier leur hostilité envers Israël ne les ont pas compris et en ont tordu le sens.
Sur le sujet général de l’antisémitisme, consulter l’Encyclopédie multimedia de la Shoah
Notes
- 1https://iqri.org/lantisemitisme-musulman-est-il-lie-au-conflit-israelo-palestinien/
- 2En 1965, le Concile Vatican II a publié « Nostra aetate », un document dans lequel l’Eglise catholique a déclaré abandonner son héritage anti-juif et vouloir se réconcilier avec le judaïsme.
- 3Jean 8.44
- 4Matthieu 23.3-7
- 5Matthieu 23.37
- 6Matthieu 23.36
- 7Jean 10.17-18
- 8Matthieu 13.10-15. Essaie 6.9
- 9Épître aux Romains 11
- 10Actes 28.18-20
- 11Romains 9. 1-3
- 12Romains 9.4-5
- 13Romains 11